Les lieux ont une mémoire qui n’échappe pas à Martine. Elle retrace l’histoire de l’ancien couvent Sainte Barbe à Rouen, qui a été pendant une cinquantaine d’année, une maternité pour les mères-célibataires. 

Par Martine Lelait 

Le bicentenaire de la naissance Gustave Flaubert a remis à l’honneur différents lieux de la Seine-Maritime dont son fameux pavillon à Croisset, face à la Seine. Mais connaissez-vous un peu plus loin sur cette même rive de la Seine, l’ancien couvent Sainte Barbe, situé sur le Quai Flaubert à Dieppedalle ? 

C’est sur ce site géographique remarquable, entre fleuve et falaise, que fut fondé en 1472 le Couvent des Pénitents. Là fut créée la première église troglodytique dans une ancienne carrière de pierre. Le couvent comme beaucoup d’autres lieux religieux connut des destinations variées. Saccagé lors des guerres de religion, il fut à nouveau consacré au début du XVIIème siècle. C’est à cette époque que furent construits la nouvelle chapelle, le cloître ainsi que le dortoir installé dans les grottes de la falaise où il y avait également une cave à sel. A la Révolution française, le couvent devint une filature puis à la fin du XIXème siècle les bâtiments accueillirent un orphelinat, une maison de retraite et un pensionnat.

Moi, native seulement du XXème siècle, je n’ai connu le bâtiment que bien plus tard, quand il était encore une maternité.

C’est en 1942 que Léonie Cauchois, sage-femme issue de la bourgeoisie rouennaise fonda l’Œuvre Normande des Mères (ONM) pour y accueillir et y accoucher les femmes qui s’étaient retrouvées enceintes pendant la captivité de leur mari. 

A partir de 1956 c’est Paulette Voloir, sage-femme également, qui reprit les rênes de l’établissement où venaient accoucher en secret celles qu’on appelait alors les filles-mères. A l’époque on ne parlait pas de contraception, l’avortement était un crime ; il s’agissait de cacher aux yeux des Rouennais bien-pensants ces filles qui avaient fauté et de dissimuler, à l’écart de la ville, ces naissances illégitimes.

Paulette Voloir fut une véritable révolutionnaire. Avec ses convictions humanistes chevillées au corps et son énergie fabuleuse, elle vint bousculer à la fois l’Église qui ne voulait pas entendre parler de contraception, et les administrations pour avoir les moyens de travailler. Elle entreprit avec des moyens qui sembleraient maintenant dérisoires, tout un travail de réhabilitation de ces jeunes mères, parfois même de toutes jeunes filles adolescentes, pour les sortir de l’opprobre et de la culpabilité généralisée, y compris lorsque leur décision était de confier leur bébé en adoption. Elle leur inculquait qu’il n’y avait plus là des bâtards comme on disait à l’époque mais uniquement des bébés qui étaient tous dignes d’amour, quelles que soient les difficultés que pouvaient rencontrer leur mère. 

Convaincue que ces femmes, pour être mères n’en étaient pas moins femmes, elle milita sans trêve pour créer un centre de formation, et de nombreuses associations pour faciliter leur insertion professionnelle, leur entrée dans un logement et leur autonomie financière.

Depuis 2006, l’ONM a quitté le couvent Ste Barbe pour des locaux bien plus adaptés dans l’agglomération rouennaise mais poursuit son travail d’accueil, hébergement et d’insertion de femmes et familles en difficulté et de victimes de violences conjugales.

Pour ma part, j’ai eu l’immense honneur et le plaisir jamais épuisé de côtoyer Paulette Voloir dans ma vie professionnelle. Je garde le souvenir de ses joutes verbales avec Raymonde Bestaux, qui était conseillère générale mais aussi sage-femme de profession lorsque, en réunion, elles comparaient le nombre de bébés qu’elles avaient aidé à naître. En 50 ans de carrière, Paulette avait dû mettre au monde près de 5000 enfants. 

Pour son jubilé à la direction du l’ONM, en 2006, étaient venues à la fête dans le jardin et dans les grottes, nombre de femmes qui avaient accouché là et d’enfants que Paulette avait contribué à faire naître. 

Une page est tournée. Il aura fallu bien des années pour passer de la fille-mère à la mère célibataire et au parent isolé ou maman-solo. Quant au couvent Sainte-Barbe, il appartient aujourd’hui à un organisme immobilier privé.