Comprendre les humains à travers leur espace domestique, c’est la démarche de la photographe Françoise Huguier et du philosophe Emanuele Coccia, tous deux invités au Centre photographique Rouen Normandie. 

Par Isabelle Revol

Jusqu’au 27 septembre, le Centre photographique Rouen Normandie expose Françoise Huguier, une photographe française de renom, (prix Anna-Politkovskaia, lauréate Villa Médicis hors les murs, World Press Photo,…) qui a rapporté beaucoup de photos de l’ex-URSS à l’époque des appartements communautaires. La spécificité de Françoise Huguier ? Observer le monde de la sphère domestique des humains. De leur cuisine, de leur salle de bain, de leurs toilettes. Le Centre photographique a profité de cette Matière terrestre(nom de l’exposition) pour inviter Emanuele Coccia, philosophe et auteur de Philosophie de la maison (Payot) à donner une conférence sur l’espace domestique et la notion de « habiter ». Brillante juxtaposition !   

Devant une cinquantaine de participants assemblé dans une salle comble, le philosophe a rappelé que les institutions (exemple : le mariage, la famille traditionnelle) ont été longtemps le support exclusif de la manière d’habiter. Mais  les mœurs ont évolué : par exemple, surtout en occident, la loi sur le mariage entre personnes du même sexe a généré d’autres manières de partager un espace commun. « Aujourd’hui, a-t-il relevé,  on ne se met plus nécessairement ensemble pour avoir des enfants : on n’a pas besoin de se marier pour cela. La série « Friends » a d’ailleurs bien montré que ce qui compte d’abord, ce sont les affinités ».  

Les mœurs évoluent plus vite que les pouvoirs publics, a souligné le philosophe. Les petits logements sont insuffisants dans une société où les gens divorcent davantage et choisissent de plus en plus souvent de vivre seuls même s’ils sont en couple. En effet, la technologie permet de mener une vie de couple sans partager le quotidien. Le philosophe a fait référence aux amoureux qui se rencontrent plus souvent sur WhatsApp que dans la réalité et dont la proximité est peu géographique. Alors, avis aux architectes et aux urbanistes publics et privés ! Emanuele Coccia a aussi apporté du grain à moudre aux seniors qui réfléchissent à l’endroit où ils aimeraient vivre plus tard, plus vieux, sans se retrouver isolés, sans espoir d’échange et d’amitié. Il a notamment évoqué les monastères du Moyen-Age en les présentant comme un exemple de « vivre ensemble » avec des communs et une chambre à soi (si importante pour Virginia Woolf). A nous de nous emparer de ces réflexions philosophiques pour inventer ce qui peut l’être encore. Ainsi les béguinages émergent dans le nord de l’Europe, et d’autres modes d’habiter sont peut-être à venir.