La COVID, puisqu’il semble qu’il faille dire « la » et non plus « le » COVID, apparue récemment mais avec fracas dans nos vies, nous a conduits à modifier nos petites habitudes, nos rythmes, nos sorties, nos modes d’approvisionnement, de consommation… Certes, ce n’est pas forcément mauvais en soi de changer au contraire, mais ces changements sont intervenus sous la contrainte, dans un sens éminemment restrictif de nos libertés, c’est cela qui change tout !

Au-delà de ces modifications dans notre quotidien, cette crise est aussi révélatrice de ce qu’on pourrait appeler une « crise de foi », crise qui amène à relativiser ce à quoi on croyait fermement jusqu’alors. J’en veux pour exemple la perplexité qui m’a saisie sur un point bien particulier.

J’ai vu ma mère mourir après avoir été maintenue 4 ans dans ce qu’on nomme un peu abruptement un état de légume, suite à un AVC. Ce furent 48 mois extrêmement douloureux pour toute la famille. Vaccinée contre ce maintien à tout crin dans une vie qui n’est plus en rien une vie, je me suis bien juré de ne jamais accepter de subir le même sort. Ainsi depuis maintenant une bonne dizaine d’années, j’adhère à l’ADMD, Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité et ai rédigé en conséquence mes directives anticipées conservées précieusement par moi, mes deux personnes dignes de confiance et le fichier national géré par l’association. Dans mon portefeuille, avec mes papiers santé (ma carte vitale, ma carte de mutuelle, ma carte de donneur de sang…)  j’ai donc ma carte de l’ADMD qui précise que si je me trouve hors d’état d’exprimer ma volonté suite à une affection incurable quelle qu’en soit la cause ou à un accident grave entraînant une dégradation irréversible de mes facultés, je refuse tous les traitements y compris l’alimentation et l’hydratation, je demande à ce que soient soulagées toutes mes douleurs et à bénéficier d’une sédation profonde et continue et, si cela devient légalement possible (je ne désespère pas du législateur français puisque cela existe déjà dans différents états européens) à bénéficier d’une aide active à mourir.

Lorsque s’est posé le problème du nombre de respirateurs, du nombre de places en lits de réanimation, la question des priorités a été posée. Et voilà que, quelques jours avant le confinement, je revenais d’ailleurs de la Maison des Aînés, je me suis trouvée dans mon bus de retour en face de deux jeunes lycéennes qui discutaient entre elles et trouvaient absolument normal, légitime que, face à un choix à faire, l’on s’attache à sauver des jeunes plutôt que des « vieux de 60 ans ».  Même si intellectuellement, je peux comprendre leur point de vue très pratique, rationnel, mes 63 ans en ont frémi et sont restés plantés dans le journal que j’étais en train de lire sans que j’ose lever les yeux sur elles et encore moins répondre… 

Du coup, malgré mes convictions enracinées de non acharnement thérapeutique, je me suis posé la question de retirer ou pas cette carte de mon portefeuille. Finalement je ne l’ai pas fait mais assurément, si j’avais le malheur d’être gravement atteinte du COVID, j’estime avoir encore des tas de choses à vivre et pour le coup OUI OUI OUI, je voudrais que l’on me réanime !

Martine Lelait  – 22 mai 2020