Il suffit parfois d’échanger un regard dans la rue pour rendre sa journée plus harmonieuse. Dans une atmosphère plombée par une actualité inquiétante, nous nous sommes demandés comment retrouver un peu de légèreté au quotidien.
Revue de presse de la Maison des Aînés de Rouen.
Étaient présentes : Marie-Laure, Patricia, Yvonne.
Marie-Laure : Le taoïsme est une philosophie qui prône l’harmonie et encourage le lâcher-prise. Dans le taoïsme, on considère que croiser le regard de quelqu’un n’est pas le fruit du hasard, toute rencontre est un partage même celle qui semble la plus anodine. Je suis assez sensible à cette idée et quand il m’arrive d’établir un contact avec quelqu’un qui marche dans la rue, j’en éprouve toujours une certaine satisfaction. Ces rencontres permettent de tisser un lien invisible entre les gens et m’aident à me sentir vivante. A mon avis, il est préférable de se regarder plutôt que rester le nez rivé sur un écran. Quelqu’un qui marche normalement, on peut lui sourire. C’est peu mais c’est touchant.
Patricia : J’imagine que ces petites rencontres sont plus précieuses aujourd’hui qu’elles ne l’étaient auparavant car elles deviennent plus rares. Elles contribuent sans doute à retrouver un certain équilibre. Aujourd’hui le monde a plus que jamais besoin de légèreté.
Oui, la bonhomie des gens qu’on croise fait du bien mais pour être honnête, j’ai parfois du mal à entrer en contact des personnes dont je ne sais rien. Je suis particulièrement sensible à l’allure des gens et, si leur apparence est rebutante, j’ai tendance à m’en détourner.
Yvonne : Quand je me promène, j’adore regarder les personnes que je croise et particulièrement les groupes, les familles, les parents avec leurs enfants, les couples… je passe devant et j’envisage leur bonheur. Je ne sais pas si je m’invente une histoire mais je partage quelque chose d’eux le temps de notre rencontre. C’est très agréable de marcher ainsi.
J’observe aussi les gens qui promènent leur chien et qui se parlent. Rendez-vous compte, il suffit d’avoir un chien pour oser parler à un inconnu.
Marie-Laure : A côté de chez moi, il y a un cani-parc et, en effet, les maitres se retrouvent et discutent pendant que les chiens s’amusent dans leur côté. C’est assez miraculeux si l’on y pense.
Patricia : J’ai sans doute des a priori mais j’associe l’image du chien à celle des SDF que l’on voit dans les rues ; je n’arrive pas à être l’aise avec cette image d’un homme assis par terre qui fait la manche avec un chien que je trouve inquiétant.
Marie-Laure : Quand des gens font la manche, la rencontre est forcément différente et moins innocente. En tant que bénévole à la Croix-Rouge, je suis en régulièrement contact avec des personnes en difficulté. Avec l’habitude, j’ai appris à faire la différence entre quelqu’un qui a vraiment besoin d’aide et quelqu’un qui cherche à profiter de la générosité des gens. Nous avons tous vu des femmes qui mendient en compagnie d’un enfant qui n’est pas le leur et qui doivent donner leurs maigres gains à un chef de bande. C’est une situation terrible mais nous sommes impuissants pour aider ces personnes-là.
Patricia : J’essaye d’aider à ma manière mais je reste sur mes gardes. Quand quelqu’un demande de l’argent pour manger et qu’il refuse le croissant qu’on lui offre, on comprend qu’il préfère recevoir de l’argent pour s’acheter à boire. Je ne me résous pas à cela.
J’ai aussi eu des échanges avec une dame qui vivait dans la rue, emmitouflée dans des couvertures et des cartons ; je lui ai parlé des démarches qu’elle pouvait entreprendre et des structures qui pouvaient lui apporter de l’aide, elle m’a répondu qu’elle voulait rester libre. Mais de quelle liberté parlait-elle ? Que faut-il faire dans ces cas-là ?
Marie-Laure : Certains SDF refusent toute sorte de secours. Ils veulent rester à l’écart de la société, ils se méfient des autres. Il n’y a pas forcément de réponse concrète à leur apporter. C’est compliqué.
Yvonne : Leur capacité à refuser est tout ce qui leur reste, c’est leur ultime fierté. Évidemment que l’on se demande pourquoi ils refusent toute assistance, pourquoi ils n’essayent pas de trouver un petit travail pour gagner un peu d’argent. C’est une question sans réponse.
Marie-Laure : Ce n’est pas facile de comprendre l’état d’esprit d’une personne qui ne trouve plus sa place dans la société. J’ai beaucoup vécu à l’étranger dans des pays où la langue mais aussi l’alphabet m’étaient inconnus. Je me suis retrouvée complètement perdue et je ne pouvais pas me débrouiller seule. C’est une sensation très étrange même si, dans mon cas, je n’avais aucun problème d’intégration sociale.
Dans cette situation, j’ai été amenée à me dépasser pour demander de l’aide. C’est sans doute grâce à ces voyages que j’ai appris à aller vers les autres quels qu’ils soient. J’essaye de ne pas juger les gens sur leur apparence ; parfois, il faut prendre sur soi.
Patricia : Je suis sûre qu’il faut mettre ses idées préconçues de côté mais j’ai du mal. Je pense aussi que notre éducation et nos différentes expériences nous influencent. Une chose est sûre : la gentillesse fonctionne de manière réciproque. Marcher en souriant déclenche le sourire des autres passants.
Yvonne : C’est vrai ! On croise des gens formidables et terriblement gentils et particulièrement chez les jeunes.