Une lettre ramassée sur le trottoir, le SOS d’un SDF, a donné envie à Françoise de s’intéresser à ceux qui dorment dans la rue. Elle a sillonné la ville de Rouen et recueilli le témoignage d’hommes touchants et heureux qu’on leur adresse la parole.
par Françoise S.
Un jour, par hasard, j’ai trouvé sur le trottoir une boule de papier froissé que j’ai ramassée et défroissée avant de la lire. C’est un dénommé Jean qui l’avait écrite.
Je la reproduis telle quelle : « Il y a encore un an, j’étais comme tout le monde, j’avais un emploi, une vie normale, puis je me suis retrouvé sans rien. J’ai puisé tout ce que j’avais et j’ai été expulsé. Donc, aujourd’hui, j’ai 60 ans…Je suis motivé pour m’en sortir mais partout, on me dit que je suis trop vieux. Chaque mois passé dehors, c’est une année qui s’écoule, personne ne m’adresse la parole. J’ai aussi du mal à me nourrir et c’est vraiment dur de dormir dehors. J’ai l’impression de vivre un cauchemar, y a-t-il quelqu’un pour m’entendre ? ».
Émue par ce courrier tombé du ciel, j’ai décidé de communiquer davantage avec les gens de la rue.
Sans domicile fixe
Comme je n’ai ni l’air d’un reporter ni d’une gendarmette, mais que je suis une mamie à cheveux blancs, je n’ai pas eu de mal à obtenir leur confiance.
J’ai commencé par rencontrer Michel, bientôt 60 ans, un gros chien à ses pieds. Depuis des mois, peut-être des années, il vit sur une artère fréquentée de la ville de Rouen. Il fabrique des petits objets en bois, notamment des petits cœurs. Le prix est libre.
Il a été tailleur de pierres, un bon métier. Il a restauré de nombreux monuments, aussi en tant que bénévole. Il s’est enfui de chez lui, il y a 10 ans, traumatisé par la mort de sa fille.
Il m’annonce : « Je suis bientôt à la retraite, mais je continuerai à venir ici, de temps en temps ».
Puis, j’ai rencontré Loïc. Il n’a que 20 ans. Une enfance malheureuse. Une gueule d’ange fatiguée. Un poulbot devenu adulte avec un air triste. Il est parti de chez lui à l’âge de 12 ans. Il a vécu dans des foyers quelque temps, avant de s’enfuir. Depuis il vit dans la rue. Sauf quand il a réussi à réunir 20 euros dans la journée pour passer la nuit à l’Auberge de Jeunesse où il peut aussi bénéficier d’un repas chaud.
Ensuite, j’ai rencontré Denis. Difficile de lui donner un âge. 45 ans peut-être ? Il aurait bien besoin d’un dentiste. Il est assis près d’un distributeur de billets. Je le préviens que je ne lui donnerai pas un billet mais une pièce.
Tandis que son chien mange des croquettes, il me raconte son enfance et sa jeunesse malheureuses. Sa mère l’a envoyé en prison où il est resté deux ans. Depuis trente ans, il voyage de ville en ville. « C’est un choix » affirme-t-il. En ce moment, il dort dans un squat et se trouve en bonne santé.
Et puis j’ai croisé Johnny. C’est lui qui m’a reconnue : « Bonjour Madame S., vous me reconnaissez, je suis Johnny, j’habitai au-dessus de chez vous ? ».
Bien grand maintenant, l’ancien petit garçon chétif qui, avec son frère, était venu toquer à ma porte pour me réclamer à manger : environ 25 ans, le visage et les bras tatoués et mal fagoté.
Surprise je reprends mes esprits. Et le questionne. Son père ? Disparu dans la nature. Sa mère, une femme un peu infantile ? Décédée et amèrement regrettée. Il dit que ses frères et sœur ont eu une vie normale. Tandis que lui…il était un enfant hyperactif qui aimait la liberté. Il vit donc dans la rue depuis des années avec ses chiens. Il est revenu à Rouen le temps d’aller se recueillir sur la tombe de sa maman chérie.
En 2022, il y aurait 300.000 SDF en France. C’est beaucoup. Et parmi eux, des jeunes, des vieux et maintenant aussi des femmes. Certains dorment dans la rue et sous les ponts. Ils laissent leur couchage sur place. Durant la journée, ils sont assis par terre avec parfois un chien, censé les protéger, et une petite cassette. Quelquefois, une pancarte. Il arrive que les SDF se fassent agresser (surtout les femmes), ou meurent de froid l’hiver.
Vivre sans domicile fixe est un choix pour certains, le résultat d’un accident de la vie pour d’autres.
Souvent très sales et alcoolisés, on les appelait autrefois vagabonds, clochards, clodos.
Maintenant, ils peuvent se laver aux douches municipales ou dans les gares.
Pour les aider, il existe les services de maraude de la Croix Rouge ou du Samu social. Mais les centres d’hébergement sont souvent surpeuplés. S’ils parviennent à obtenir une adresse en se localisant près d’un centre communal d’action social, ils peuvent toucher le RSA, à condition d’avoir plus de 25 ans et de résider en France de façon permanente.
Des jeunes sortis de l’Aide Sociale à l’Enfance se retrouvent à la rue à l’âge de 18 ans, sans ressources.
Que faire face à cette misère ? Et à ses vies gâchées ? Même peu est mieux que rien.
De temps en temps, je leur donne une petite pièce, mais comme je pense que ce ne sont pas des chiens à qui on donne des croquettes, j’échange aussi quelques mots. Ils ont besoin qu’on les regarde, qu’on leur parle. On peut aussi s’engager dans une association humanitaire ou leur indiquer des adresses où trouver de l’aide voire même leur tricoter des couvertures, des gants et des bonnets. L’important, c’est de lutter contre l’indifférence.