Est-ce parce qu’ils sont du même mois de la même année que Martine se sent aussi proche de Jérôme Garcin ? En tout cas, notre « Curieuse » apprécie le journaliste et écrivain, venu récemment à Rouen parler de son dernier livre, Mes fragiles. 

Par Martine Lelait 

Il y a trois ans exactement, le 4 juin 2020, j’écrivais un petit article pour le Blog des Curieux Aînés, racontant comment j’étais tombée en amour, dès les premières phrases, pour le livre de Jérôme Garcin Le dernier hiver du Cid, dans lequel il racontait les derniers jours du comédien Gérard Philipe, son beau-père.

Je ne connaissais à cette époque Jérôme Garcin que comme animateur indéboulonnable du Masque et la Plume sur France Inter et comme responsable des pages culture du Nouvel Observateur (je sais, normalement on devrait dire l’Obs mais je suis abonnée depuis si longtemps que je n’arrive pas à me départir de l’ancien titre).

Depuis, je lis tout ce qui me tombe sous la main de Jérôme Garcin !

Récemment, j’ai offert son dernier livre Mes fragiles à une amie, veuve depuis peu, espérant alléger sa peine lorsqu’elle découvrirait que l’on peut vivre sereinement avec ses morts.

Je n’allais donc pas manquer la conférence de Jérôme Garcin ce 2 juin à l’Armitière à Rouen où il était invité à parler de ce livre, sorti en janvier dernier.

Venu à l’écriture sur le tard, vers l’âge de 38 ans, il a d’emblée précisé n’être pas un auteur de romans d’anticipation, ni d’imagination ; il n’écrit pas non plus, comme beaucoup d’écrivains aujourd’hui, pour régler des comptes. Il écrit pour faire sortir les morts de l’oubli et faire exister les disparus qui lui sont chers.

Pour ceux qui ne connaissent pas Jérôme Garcin, il convient de rappeler que sa vie n’est pas, loin sans faut, un long fleuve tranquille : à l’âge de 6 ans, il a perdu son jumeau Olivier, renversé par une voiture, qui ne l’a cependant pas quitté un seul instant depuis. Le journaliste a précisé que « s’il travaille énormément, c’est qu’il doit travailler pour deux ».

Il a perdu ensuite son père, Philippe Garcin, décédé à 45 ans, des suites d’une chute de cheval, ce sera plus tard le titre d’un livre paru en 1996. Garcin a consacré d’autres ouvrages à d’autres morts : François-Régis Bastide, son grand ami et fondateur du Masque et la Plume, Jean Prévost, l’écrivain, résistant sous le nom de Capitaine Goderville décédé en 1944 et Gérard Philipe, l’interprète fameux du Cid et le père de son épouse Anne-Marie Philippe, décédé lui aussi dans la fleur de l’âge.

Se méfiant d’un exhibitionnisme mal venu, Jérôme Garcin a raconté qu’il a longtemps gardé par devers lui ses morts familiaux, ceux qui lui étaient les plus chers. Poussé à l’écriture par son épouse, il dit avoir écrit pour se sauver d’une forme de schizophrénie. C’est en 2011, dans un roman éponyme qu’il a parlé de la mort d’Olivier son jumeau. 

Plus récemment, il a dû affronter, à six mois d’intervalle, la mort de son frère cadet Laurent, qui était atteint du syndrome de l’X fragile, puis celle de sa mère, à qui il aura caché jusqu’au bout la disparition de Laurent. C’est alors qu’il a ressenti « le besoin urgentissime » que sa mère et son frère rejoignent les autres morts dans « la grande maison de papier » qu’il a bâtie. Ecrire et les faire vivre avec lui est une manière de répliquer au chagrin.

Durant sa conférence à l’Armitière, Jérome Garcin est revenu sur les derniers mois de vie de son frère et sa mère qui l’ont accaparé et obligé à jongler encore plus que de coutume avec ses nombreuses activités professionnelles. Il a dévoilé avoir pu écrire Mes Fragiles, où il évoque longuement la maladie héréditaire dont souffrait son frère, parce que sa mère était décédée. Il n’aurait pas pu lui faire supporter l’idée même d’une responsabilité de la transmission. Depuis la sortie de son livre, il a reconnu avoir reçu nombre de courriers, de témoignages de personnes confrontées elles aussi à l’X fragile.

Avoir pu réunir ses proches disparus dans ce panthéon de papier et vivre au milieu des tableaux lumineux peints par sa mère et son frère Laurent contribuent à ce qu’il continue, malgré leur disparition, à vivre avec eux.

Soucieux à 66 ans de se dégager enfin du temps pour lui, il passera la main du Masque et la Plume en janvier prochain à la journaliste Rebecca Manzoni.