La vieillesse inspire toutes sortes de colloques, tables rondes et autres états généraux où les experts ès vieillissement s’expriment à tout va. Mais rarement, pour ne pas dire jamais, les personnes concernées. Que se passe-t-il à l’intérieur de soi, dans son corps et dans sa tête, quand on avance en âge ? Comment vit-on les fragilités qui surviennent, la mise à l’écart par les encore actifs, le sentiment de devenir invisible ? 

Yvonne Leménager a décidé de témoigner en direct de son grand âge, 88 ans, et de sa perte d’autonomie. 

Par Yvonne Leménager

Se faire aider et s’attacher si on veut ! 

Veuve, je vis encore seule chez moi avec 8 heures d’aide-ménagère par mois. Je marche très mal, avec un handicap à 80 %, mais je fais encore tout ce que je peux par moi-même. J’ai structuré mon temps. J’ai mes marques et mes ami(e)s proches qui, par chance, ont presque l’âge de mes enfants. 

Je n’éprouve plus le besoin de partir en vacances. Il me suffit de m’en souvenir. J’écoute des podcasts ou regarde des émissions en différé, mais avec des plages de silence parce que je ne veux pas m’encombrer l’esprit. Je pense d’ailleurs qu’un excès d’écrans est aussi nocif pour nous que pour les petits enfants. J’ai énormément lu dans ma vie mais maintenant je n’ai plus le temps, lenteur oblige. 

J’ai aussi trouvé un moyen magique de contourner la solitude : dédier chaque matin ma journée à une ou plusieurs personne(s), connue(s) ou inconnue(s), proche(s) ou lointaine(s). J’ignore si cela a un effet quelconque sur elle(s), mais moi ça m’aide.

Mes deux fils habitent l’agglomération. Je peux compter sur eux sans faille mais j’évite de les solliciter pour un oui ou pour un non. Certes par désir d’indépendance, mais surtout parce que j’estime qu’ils sont déjà très surchargés dans leur vie active. On ne peut pas leur demander d’abonder nos retraites par leur travail et d’être assignés simultanément au rôle « d’aidants naturels ». Je pense que la montée en charge de ce statut accompagne la pratique récente des sorties rapides d’hospitalisation dès la fin de la phase aigüe. Beaucoup d’aidants, mis devant le fait accompli, servent en réalité de variable d’ajustement à certaines politiques publiques. Beaucoup s’y épuisent. Recherche d’économie d’un côté, dégâts croissants de l’autre, qu’il s’agirait d’évaluer à fond et de soulager au mieux. Le meilleur des soulagements serait d’en tarir les sources. 

Il y a quelques années je me suis cassée un poignet. Mon assurance m’a octroyé douze heures d’aide à domicile confiées à une association. J’ai eu affaire à huit intervenants différents. Il m’a été répondu que c’était voulu, pour « éviter que les intervenants ne s’attachent » ! Cela va à l’encontre du besoin de stabilité et de sécurité affective des personnes âgées, surtout si elles sont seules. 

De même, lorsque mon mari était alité en fin de vie, la dernière auxiliaire passait à seize heures, ce qui était totalement inadapté.