Se mettre en retrait fait du bien aux femmes débordées mais du mal aux femmes retraitées. Héritière des valeurs de 68, Hélène s’insurge contre l’assignation à la discrétion qu’elle ressent alors qu’elle n’exerce plus d’activité professionnelle.
Par Hélène Pécot.
Un matin, sur une plage bretonne ensoleillée, un groupe de femmes de tous âges, certaines voilées, font du taïchi. Je suis allée leur parler, l’accueil est souriant. Pour certaines, ces vacances organisées par le service social de leur mairie respective correspondaient à des vraies découvertes : la liberté sans contrainte ni devoirs domestiques ou professionnels. Juste la mer, l’espace, le mouvement, le plaisir d’être ensemble.
Le plaisir qu’elles semblaient trouver dans cette récréation m’a fait prendre conscience que moi, j’ai eu du mal à en trouver dans ma récréation forcée de femme retraitée.
Le statut de retraitée fait rentrer dans une case sociale archi normée et codée. Il expose à se retrouver cantonnée dans des activités de bénévolat ou alors de grand-mère forcément disponible ou de voisine évidemment solidaire, bref de femme continuant à faire ce que l’on attend d’elle : veiller au bien-être d’autrui, tout en faisant bonne figure malgré parfois moins de moyens économiques, physiques et dans une solitude polie et pudique. Héritières des acquis des années 70 – contraception, sexualité libérée, accès à l’égalité homme-femme…- comment s’y retrouver dans ce statut étriqué ? La retraite m’apparaît comme une mise à l’écart. Et le reflet des inégalités entre hommes et femmes.
En France aujourd’hui, les femmes perçoivent en moyenne des pensions de retraite de 31% inférieures à celles des hommes. En cause, des salaires plus bas durant leur vie active, des temps partiels imposés, des interruptions de parcours liées à la maternité et aux soins apportés aux proches. Au vu de leurs expériences professionnelles passées, les hommes retraités sont plus sollicités que les femmes pour s’engager dans le tutorat ou le conseil. Résultat : ils sont sur-représentés dans les instances consultatives ou décisionnaires – assemblée de copropriétaires, associations professionnelles…). Les femmes à la retraite sont moins présentes dans la vie publique et politique, assignées à demeurer un pilier du lien social et de la solidarité familiale. Être à la retraite a donc été pour moi une réinterrogation profonde de moi-même ! Tant que j’étais active, mon utilité était évidente, désormais à la retraite ma place est à redéfinir. Bienvenue dans le féminisme du troisième âge.
Moi féministe du troisième âge
Mais cela veut dire quoi, une féministe du troisième âge ? C’est une femme qui assume au mieux une liberté retrouvée au-delà des chemins socialement codés. Qui retrouve le sens du collectif, les autres « aînées » dans leurs différences, dans le lien retrouvé avec des plus semblables à soi. Qui assume une vieillesse libre, digne et visible. Qui continue à apprendre, à décider pour elle-même et par elle-même de quelle aide elle a ou aura besoin. Qui est une citoyenne à part entière en osant s’engager politiquement, faire entendre son opinion et oser son originalité. Qui entre en résistance en douceur, lucide, joyeuse au-delà des obstacles liés au vieillissement du corps et du mental. Qui garde sa curiosité, expérimente des choses qu’elle n’a jamais faites encore, qui aiguise son humour. Qui deviendra peut-être une vieille dame indigne comme celle du film de René Alliot tourné en 1965, osant s’aventurer seule, gérer seule son argent, s’attabler seule dans un restaurant. Ou qui, comme la Maud du film de Hal Ashby réalisé en 1971 « Harlod et Maud » osera vivre une passion amoureuse avec un homme plus jeune qu’elle. La retraite pourrait donc pas ne pas ressembler à un retrait de la vie sociale mais être l’occasion d’une réinvention, voire d’une renaissance sociale et intime.



