Sévèrement bombardée durant la Seconde Guerre mondiale, la ville de Rouen a dû reloger en urgence des familles sinistrées. Et des quartiers vétustes ont repris du service comme le quartier de Martainville. Françoise qui travaillait au service du relogement se souvient.

Par Françoise S. 

La ville de Rouen attire de nombreux touristes qui se pâment devant les façades à colombages.
Combien savent que certaines de ces maisons ont failli disparaître dans les années 1960-1970, à la grande époque de reconstruction et de réhabilitation des quartiers les plus insalubres ?

Au sortir de la guerre, un quart des logements de Rouen était à reconstruire. Les bombardements de 1943 avaient en effet laissé 40000 sinistrés sans toit. Des familles ont dû se regrouper dans des quartiers vétustes, voire insalubres. 
Au Moyen-Âge, le quartier de Martainville abritait entre deux rivières : Le Robec et l’Aubette, des meuniers, des drapiers, des teinturiers, des tanneurs et d’autres artisans du textile. Devenus prospères, ces artisans ont peu à peu fait construire de belles maisons et même, au 17ème siècle, des hôtels particuliers. Au 19ème siècle, l’industrie textile s’étant déplacée vers les faubourgs – la rive-gauche et la vallée du Cailly – le bâti du quartier qui n’était plus entretenu s’est détérioré. Après la guerre, de nombreuses familles sans logis y ont néanmoins été installées. Certaines se sont entassées jusqu’à huit personnes, toutes générations confondues, dans une seule pièce, qui servait de chambre commune, de cuisine et de salle de jeux, avec en plus des animaux de compagnie. Souvent l’eau s’y infiltrait. Composé de120 immeubles pour un total de 700 logements, il abritait alors 1700 habitants.

La surpopulation et la précarité favorisaient les maladies telle que la tuberculose, l’alcoolisme des parents et la délinquance des jeunes étaient fréquentes. Les enfants ne pouvaient se défouler que dans la rue avec tous les dangers que cela comportait. Des habitants de ce quartier réclamaient des logements décents en urgence.
Certains passaient directement au service du relogement pour se plaindre. Bien que propres (des courettes pavées leur permettaient de laver et sécher le linge), ils portaient sur eux l’odeur d’humidité et de fumée de leur logement décati. Je me rappelle de ma collègue qui, dès leur départ, utilisait abondamment le désodorisant.
L’ilot Martainville a été déclaré insalubre en 1952. La démolition progressive du quartier a, pour un temps, laissé place à des terrains vagues où les enfants pouvaient enfin s’ébattre et jouer librement. Beaucoup de familles ont été relogées sur les Hauts de Rouen et sur la rive-gauche avec hygiène et confort. Je me souviens de mon chef du service du relogement qui passait une grande partie de son temps à suivre les processus de démolition et de construction de ce quartier. 

A partir de 1962, d’importants travaux de reconstruction ont commencé : 621 nouveaux logements répartis en 11 bâtiments, le groupe Martin le Pigny, ont été construits.
A cette occasion, plusieurs charpentes anciennes ont été démontées et déplacées rue du Gros-Horloge et place du Vieux-Marché. Le quartier Martainville avait ses défenseurs : l’architecte M. Gasperini et l’Association des Amis des Monuments Rouennais. Ils savaient que derrière les façades recouvertes de plâtre se trouvaient des colombages et qu’au-delà des taudis subsistait le charme d’un habitat du passé qu’ils voulaient restaurer et conserver pour le plaisir des touristes d’aujourd’hui !

Références :

  • Grandir dans un quartier insalubre, quelles perspectives après-guerre, Sophie Victorien 2022
  • Etude sociologique de Michel Quoist 1948 1949 1952, photos de Henri Salesse 1951
  • Patrimoine et Territoire : inventaire général du patrimoine
  • Les Maisons des obscurs 2018