Le 6 janvier, jour de l’Epiphanie, vous accompagnerez sûrement votre galette des rois d’une rasade de cidre. Grâce à ce souvenir de Koffi sur la fabrication du cidre, il aura cette année un goût particulier.
par Koffi
Dans ma famille, comme dans beaucoup de familles normandes, le cidre qu’on y buvait était de fabrication « maison ».
Mes parents se faisaient livrer des pommes à cidre qui avaient été ramassées en novembre par les fermiers. Ces derniers devaient s’acquitter d’une taxe à la régie des alcools pour avoir le droit de commercer avec les particuliers.
Arrivées à la maison, ces pommes étaient mises de côté quelques jours par mon père. Il disait qu’elles devaient chauffer. Puis, il s’attaquait à la production du cidre. Nous avions une machine pour cela.
La première fois que j’ai aidé mon père à fabriquer le cidre, j’avais une dizaine d’année. Mon père étant infirme, son bras avait été arraché dans son adolescence, je devais l’aider à charger les sacs dans la cuve du broyeur. Nous tournions alors le volant de cette machine pour éclater les pommes, puis, nous récupérions la pulpe afin de la verser dans le pressoir. Lorsque celui-ci était plein, nous le fermions. Dès ce moment, je me trouvais au repos si je peux dire. Mon père serrait la vis du pressoir pour qu’il ne reste plus de pulpe dans les pommes.
Après cette première opération, la pulpe pressée était déposée dans une grande cuve où on ajoutait de l’eau. Que de voyages j’ai pu faire avec des sceaux. Nous n’avions pas de tuyau souple assez long pour relier le robinet d’eau à la cuve et traverser la cour. Cette opération avait pour but de faire macérer la pulpe de la première pressée en vue d’une nouvelle pressée, environ 48 h plus tard. Ce nouveau liquide servirait pour la boisson quotidienne.
Une autre partie de la pressée était soumise à la fermentation. Et il fallait attendre. Quand l’heure était venue, une nouvelle corvée s’imposait à moi : je devais remplir les bouteilles, « des champenoises », de ce gros cidre qui faisait autour de 12° avec la bouchonneuse en bois, le maillet et des bouchons mouillés. Pour finir, je devais garnir le goulot avec du fil de fer.
Je me souviens avec beaucoup de fierté de ces belles journées d’été où mon père allait chercher une bouteille de cidre pour des visiteurs et faisait sauter le bouchon. C’était ma récompense, ce bouchon qui sautait. Comme avec le champagne, il faut être très habile, une fois que le bouchon a sauté, pour vite remplir les verres sans perdre une goutte du précieux nectar.
Chez mes grands-parents, j’ai toujours bu du cidre. Je me régalais d’une bolée dans laquelle j’ajoutais deux ou trois pierres de sucre, et dans laquelle je faisais tremper une portion de baguette beurrée, hum.
Irresponsable de servir du cidre à un enfant, vous dîtes-vous ? Cela faisait partie des habitudes de l’époque. De plus, ayant attrapé la polio durant mon enfance, je ne buvais plus d’eau de la citerne qui pouvait contenir des germes. Je consommais du cidre dont le taux d’alcool oscillait entre 2 et 6°, selon l’état de la fermentation. Je buvais aussi parfois un canard ! Un sucre que mon père trempait dans la goutte qui accompagnait son café.
Malgré cette enfance bien arrosée, je ne suis pas devenu alcoolique. Je ne sais pas non plus ce que c’est que d’être ivre.
Cela ne m’empêche pas d’apprécier le bon cidre, et de le préférer artisanal. Je n’aime pas l’industriel, fabriqué vite avec des méthodes modernes : il me fait penser à du jus de pommes dans lequel on a mis des conservateurs et probablement ~2° d’alcool et un gaz pour le rendre pétillant.