Quincy Jones s’en est allé le 03 novembre 2024 à l’âge de 91 ans. Le trompettiste de jazz américain laisse derrière lui une œuvre immense. Et beaucoup de nostalgie chez Michelle. Deuxième épisode.
Par Michelle Fourre.
La disparition de Quincy Jones m’a beaucoup émue. Cet immense artiste est lié à mon amour pour la musique.
Je suis née en 1946, mes parents étaient des agriculteurs, ni riches ni pauvres.
Vers quatre ou cinq ans, j’ai été pour la première fois mise en présence avec un piano. Je me souviens vaguement d’un repas avec mes parents et d’autres personnes que je ne connaissais pas, dans une maison inconnue….En revanche, je me rappelle très bien m’être aussitôt rapprochée d’un meuble noir brillant, pas très haut avec à la hauteur de mes yeux une rangée de nombreuses plaques blanches avec un peu moins de plaques noires plus petites, étroites et brillantes. Au-dessus, un livre avec des petites taches noires à la queue leu leu était ouvert. Quelqu’un m’a soufflé à l’oreille « c’est un piano, il fait de la musique ». J’ai immédiatement aimé cet instrument.
Chez mes parents, on ne parlait pas beaucoup, personne ne chantait ni n’écoutait de la musique. Il y avait pourtant un vieux « pick-up » (tourne-disque incorporé dans un meuble) avec quelques disques de Luis Mariano et Tino Rossi, c’était tout…
En arrivant au collège, en sixième, comme pensionnaire, un autre monde s’est ouvert à moi. Je quittais la ferme familiale sans commodités pour entrer dans un internat et un collège d’enseignement général attenant flambants neufs avec chauffage central et sanitaires modernes.
J’ai commencé à apprendre le solfège en cours de musique hebdomadaire. La professeure utilisait un petit piano en bois qu’elle posait sur son bureau et nous faisait des dictées de notes, une horreur pour moi. J’obtenais des notes calamiteuses !
Un jour, en revenant à la ferme pour le week-end, je devais avoir une douzaine d’années, j’ai eu la surprise de découvrir un harmonium installé dans la cuisine (un harmonium possède un clavier comme un piano, mais il faut actionner deux pédales avec les pieds pour que des sons soient émis). Ma mère, à qui j’avais dû casser les oreilles avec mon fantasme de piano, s’était entendue avec le curé du village pour me faire livrer cet instrument d’occasion provenant d’une église ainsi que les partitions de musique, des chants de messe, qui se jouaient à une main.
Comment m’y mettre ? Comme Quincy Jones, j’ai appris toute seule, en pianotant encore et encore, mais pas avec le même talent. Ma famille n’en pouvait plus d’entendre mes fausses notes ! A défaut de bien jouer avec mes mains, je musclais mes jambes avec les pédales ! A force de ténacité, j’ai tout de même progressé jusqu’à jouer de la main droite sans regarder le clavier.
J’ai atteint quatorze ans en 1960. Durant les vacances d’été de cette année-là, ma mère m’a enfin autorisée à suivre ma cousine, de deux ans mon aînée, pour aller à la piscine. Elle se trouvait à une quinzaine de kilomètres dans un gros village, où le patron d’une tréfilerie avait investi dans une piscine pour offrir des loisirs à son personnel. Le reste de la population avait le droit d’en profiter aussi. Nous nous y rendions sur l’une de ces mobylettes grises de petites cylindrées plutôt utilisées par les femmes à cette époque-là.
Là, aussi un autre monde s’est ouvert. J’ai appris à nager (j’y allais pour çà). J’ai fait la connaissance de nouveaux copains (filles et garçons), ceci me changeait de l’internat de jeunes filles. Et j’ai découvert le plaisir des jeux dans l’eau, des discussions interminables au coin buvette avec une boisson chocolatée … et d’entendre de la musique. Quelle émotion en découvrant ces chansons en anglais, dont je ne comprenais pas les paroles. Je me souviens en particulier de Ray Charles qui chantait « What’d I say », « Georgia on my mind », ou encore « Hallelujah, I love her so »… Des copains qui possédaient une culture musicale m’ont expliqué les différences entre le Blues, la Soul, le Gospel et le Jazz. Quincy Jones venait de sortir un album « Jazz Abroad »… et son art de jouer de la trompette me faisait littéralement fondre.
Les vacances d’été de cette année-là sont passées avec la rapidité de l’éclair ! Le seul moyen de pouvoir écouter de la musique aisément (mes parents n’avaient pas encore de télévision) était le transistor, une radio à piles. Mon frère qui venait de se faire réformer pour le service militaire et s’installait à Paris, m’a donné le sien. Le rêve ! J’allais pouvoir faire comme mes copines qui se promenaient avec leur transistor sur l’épaule, et écouter l’émission « Salut les Copains » qui diffusait les yéyés, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Françoise Hardy, Jacques Dutronc…
Ensuite, l’école a repris. Les vacances d’été suivantes ont été bien différentes, j’ai travaillé dans une banque, encore mineure. C’était pour compenser partiellement les frais d’internat. Au cours de ma vie d’adultes, la musique et les chansons se sont un peu éloignés de mes préoccupations, le transistor a fini par s’user… Je reconnaissais néanmoins toujours les rythmes que j’aimais avec un petit pincement au cœur.
Il y a trois ans, vivant seule depuis six ans, j’ai prévenu mes proches que j’allais m’acheter un piano et apprendre à décrypter des partitions de musique pour les jouer à deux mains.
Âgée aujourd’hui de 78 ans, j’entame ma troisième année de solfège et pratique du piano avec une professeure de musique taillée sur mesure pour moi avec sa patience, sa gentillesse et toute sa compréhension. Merci Claire ! Je réalise enfin mon rêve d’enfant…Et je rejoins Quincy Jones à travers les partitions de musique.