Pourquoi l’abstention aux élections, qu’elles soient municipales ou présidentielles, est-elle devenue si importante ? Et si c’était était le signe d’un désamour pour la politique et d’une défiance envers la démocratie ? Comment redonner le goût de la chose publique et remobiliser les citoyens ? Et si les conseils de quartier devenaient un levier ? Une enquête en six épisodes.

Par Martine Lelait 

Retour sur l’expérience rouennaise 

La ville de Rouen est découpée en 12 quartiers ; ce sont donc 12 conseils de quartiers qui ont fonctionné pendant plusieurs années. Les dernières réunions se sont tenues en fin d’année 2019 puisque les mandats se terminaient avec ceux de l’équipe municipale en place.

A l’heure des bilans, le sentiment reste mitigé. 

Certains conseils de quartier ont plutôt bien fonctionné, d’autres moins et les avis restent partagés.

Pour commencer par les points positifs, ces conseils de quartier ont permis de mieux faire connaître comment fonctionne la prise de décisions au niveau d’une ville, comment travaillent les élus et les services municipaux. Et de réaliser comme Dominique, qui a siégé une douzaine d’années au conseil de quartier du Mont Gargan que « rien n’est simple dès que l’on jongle entre les désirs des habitants et les contraintes des services municipaux » !  Il faut en effet faire avec les contraintes financières, techniques, les réglementations diverses… et le temps de l’administration qui n’est pas forcément celui du citoyen qui attend avec impatience les réalisations qu’il espère.

Des réalisations, il y en a eu fort heureusement : ici une fresque de street art sur un pignon d’immeuble, là, des jardins partagés, ailleurs des escaliers pour relier le bas et le haut du Mont Gargan, ailleurs encore, l’installation d’une table d’orientation sous le cimetière du Nord, des radars pédagogiques, des plaques de rue plus informatives sur la richesse du patrimoine … des petites et plus grandes choses qui s’additionnent pour améliorer petit à petit le quotidien des habitants.

L’enthousiasme était bien présent. Quand on arrive dans un conseil de quartier, c’est a priori qu’on en attend quelque chose. Denise, nouvellement arrivée sur la ville de Rouen a rejoint le conseil de son quartier (St Clément Jardin des Plantes) dans l’espoir de le découvrir mieux, d’apprendre à mieux le connaître, à bien en cerner la physionomie, à découvrir ce qui bouge. Elle a participé quelques mois avant que cela s’arrête et a pu apprécier la diversité des sujets abordés, même si beaucoup concernaient l’urbanisme. Rémy, quant à lui, est venu quelques mois avant de prendre sa retraite, d’entrée de jeu avec la volonté de s’impliquer dans la vie de son quartier. Il a été un des conseillers moteur dans la création du Jardin des Saveurs qui a nécessité quasiment deux ans de concertations avant de voir le jour.

Dominique revient sur sa longue expérience au sein du conseil de son quartier : « Nous avions conscience de participer à la vie de notre quartier, de découvrir et connaître les problématiques particulières à un quartier à ses habitants. Nous pouvions être un relais entre les habitants et les services de la Ville en recueillant et construisant des propositions, de concert avec les habitants du quartier. Nous avions le plaisir de nouer des relations amicales avec les habitants et aussi de nouer de solides amitiés entre nous conseillers. » 

Au fil du temps, il semble que les choses aient évolué. Les conseillers qui ont siégé longtemps (10 ans, 12 ans…) ont constaté que cet enthousiasme des premières années s’est effiloché pour laisser place à une certaine usure. 

Des points de faiblesse se sont fait jour :

– Le manque de formation, de temps d’accueil pour les nouveaux conseillers

– Le « nomadisme » (dixit Philippe du quartier Grieu St Hilaire Vallon Suisse) de certains conseillers qui ne viennent que pour faire valoir leurs préoccupations strictement personnelles au détriment de l’intérêt général, et repartent très vite dès lors que, soit ils ont obtenu satisfaction, soit ils se sont rendu compte que leurs revendications ne pourraient pas aboutir. 

– Malgré une charte claire, il a été pointé que certains venaient faire de la politique politicienne au sein des conseils.

– Une espèce d’entre soi qui s’installe. Même si certains quartiers ont vu venir des conseillers plus jeunes, des commerçants parfois, ce qui était fort intéressant, la majorité des conseillers sont des retraités. L’économiste, Julia CAGE, pointait en octobre 2020 que dans les instances de démocratie participative, « systématiquement, ce sont les plus aisés et éduqués qui y participent, jamais les plus pauvres, qui ont, en réalité, beaucoup moins de temps à y consacrer : ils ont plus de transports, moins de moyens pour faire garder les enfants. Ces expériences ne font que renforcer les inégalités politiques. »

– Un regret a été exprimé sur certains conseils de ne plus disposer d’enveloppes financières ce qui a cassé la dynamique, la capacité à initier des micro-projets locaux. 

– Le manque de réunions et de vie entre deux séances : certains conseils se réunissaient une fois par mois, puis le rythme a été seulement d’une fois tous les deux mois ; pour ceux qui n’ont pas pris l’initiative d’autres rencontres moins formelles entre ces réunions plénières, cela s’est avéré démobilisant. Pour toucher davantage de monde, certains avaient mis en place des réunions qui tournaient sur différents lieux. Philippe sur le quartier Grieu St Hilaire Vallon Suisse précise qu’une permanence mensuelle avait même été mise en place pour aller à la rencontre des habitants mais sans grand succès non plus.

– Des habitants parfois trop centrés sur leur seul quartier comme s’ils ne se sentaient pas citoyens de la ville . A noter également que malgré les réelles avancées réalisées déjà depuis quelques années, il semble difficile d’éradiquer complètement à Rouen, la vieille rivalité entre la rive droite, la rive noble, avec son centre historique qui draine tous les touristes, la belle rive, celle réputée riche, bourgeoise, commerçante, et la rive gauche, plus ouvrière qui s’est longtemps sentie délaissée et mal aimée. Cela s’est retrouvé dans des discussions de conseils de la rive gauche, parfois enclins à penser que tout était réservé à ceux de l’autre rive ! 

Bref une certaine usure qui invite à en tirer des enseignements pour mieux réfléchir à l’avenir…

Déjà parus :
– A Rouen, le nouveau Maire à la reconquête des citoyens.      
– Un conseil de quartier, c’est quoi ?
Un conseil de quartier vu du dedans 

Reste à lire les deux épisodes suivants : 
– Le bulletin, un outil suffisant pour communiquer sur le quartier 
– Des propositions pour l’avenir