Quel est l’ingrédient secret qui soude les générations entre elles et leur donne le sentiment d’appartenir au même clan ? Yvette a posé la question à quatre membres d’une même famille.
Par Yvette Fokoua
Comment créer des liens intergénérationnels au sein d’une famille ? J’ai tenté de répondre à cette question en prenant pour base une famille composée de quatre générations étalées sur trois siècles : la grand-mère, veuve depuis 2013, née en 1945 de parents ayant vu respectivement le jour en 1888 et 1899, ses quatre enfants dont deux filles jumelles, ses huit petits-enfants, un arrière-petit-fils.
Quatre générations, quatre contextes sociétaux.
La grand-mère se souvient qu’à sa naissance, deux de ses sœurs étant mariées et les deux autres ayant déjà 14 et 17 ans, elle a grandi entourée d’une mère vieillissante et d’une grand-mère rigide. Ces deux femmes lui ont transmis une ligne directrice de vie basée sur le travail, la discipline, le respect des anciens et des convenances, qu’elles avaient elles-mêmes reçue, sans remettre quoi que ce soit en cause. Rien ne lui a manqué au niveau matériel : il y a eu des jouets et des friandises à Noël, mais sur le plan affectif, le bilan est moins positif. Peu de marques d’affection, telles que des câlins ou des bisous. Pas de conversations chaleureuses au repas en dehors des « Tiens-toi droite », « mange plus lentement », « ne mets pas les coudes sur la tables » ! Bref, elle a reçu éducation pouvant être qualifiée de typique de la bourgeoisie rurale du 19e siècle. La petite-fille devenue femme a cependant réussi à s’en affranchir. Elle et son mari, un Camerounais venu en France en 1962 pour faire des études supérieures, ont eu à cœur que leurs quatre enfants grandissent en se sentant aimés, se dotent d’un sens critique solide et développent leur empathie et leur tolérance envers les autres. Les valeurs éducatives qui ont prédominé ont été l’amour, le respect et l’ouverture sur les autres.
Aujourd’hui, l’un de ces quatre enfants reconnait que cette éducation ne lui a pas laissé un mauvais souvenir. Il se rappelle d’ailleurs très bien le schéma éducatif proposé. L’indépendance dont lui et ses frères et sœurs jouissaient au niveau des amis, des sorties, des activités de loisirs… se doublait de la nécessité de retrouver la chaleur de la famille. « Certes, admet-il en riant, à l’adolescence, des portes ont claqué, des larmes ont coulé ». Mais il ne qualifie pas ce moment de crise. « Il s’agissait juste de confrontations d’idées, d’affirmation de personnalités ». Il ajoute, malicieusement, que cette éducation a tellement bien marché que la troisième générations (ses enfants et leurs cousins) a reçu ou reçoit encore, la même ! « C’est une chance ou une punition » !
L’aînée des petits-enfants, qui a 26 ans et vit à Paris ainsi que la dernière qui a 15 ans et est collégienne, ne portent aucun jugement sur leur éducation. Pour elles, ce ne pas un sujet. Pour autant, elles ont conscience de la grande connivence entre les couins et les autres membres de la famille qui se traduit par l’envie de partager des idées, des jeux, des sorties avec les autres membres de la famille. C’est ainsi que pour rien au monde, cette troisième génération ne manquerait le repas familial mensuel chez l’un ou l’autre des parents ni le réveillon de Noël chez la grand-mère, ou un repas chez elle à l’occasion d’une fête ou de la rentrée scolaire. Chacun parle de ses objectifs et tout le monde met son « grain de sel ». Le moment le plus prisé de la famille étant le long congé de mai – le jeudi de l’Ascension jusqu’au dimanche. Quatre jours, où les dix-neuf membres de cette famille se retrouvent dans une grande location au bord de la mer dans la Manche. Les jeux, les rires, les sorties, la plage constituent alors le dénominateur commun des liens intergénérationnels. C’est ainsi que l’arrière-petit-fils de 4 ans peut faire un gâteau avec son arrière-grand-mère, pendant que son grand-oncle joue au baby-foot avec ses neveux ou nièces. Ce qui fait dire – déjà – à la dernière des petits-enfants : « J’adore ma famille ».
A l’heure où nous parlons, cette grand-mère vient de finir la rédaction de deux manuscrits, l’un sur sa vie, de l’âge de 6 ans jusqu’à son mariage et l’autre sur les deux voyages au Cameroun de 1972 et de 1982. Elle a déjà offert un livre de photos à chacun de ses petits-enfants. L’intergénérationnel n’est pas un concept : cela se vit et se construit.



