Le 11 janvier dernier, les militants du collectif des « Jardins Joyeux » qui occupaient depuis presque sept mois l’ancien foyer Sainte-Marie, en plein cœur de Rouen, ont été évacués par la police. 14 adultes et 4 enfants expulsés au petit jour. Martine Lelait revient sur cette affaire qui a ému les Rouennais mais aussi la presse nationale. 

Par Martine Lelait 

Le quartier Saint-Nicaise à Rouen, délimité à l’est par la rue Louis Ricard, au nord par le boulevard de l’Yser, à l’ouest par l’avenue de la Porte des Champs est un quartier historique qui a gardé tout son cachet. Pour l’anecdote, il a servi de cadre pour le tournage en 1962 des « Mystères de Paris » par André Hunebelle, qui y a trouvé des maisons et des ruelles suffisamment pittoresques pour figurer le Paris du XIXème siècle. Les plus anciens habitants du quartier se souviennent même avoir croisé Jean Marais rue des Requis ou rue des Deux Anges.

L’association « la Boise de Saint-Nicaise » défend depuis longtemps déjà le patrimoine de ce quartier à commencer par son église assez exceptionnelle puisque reconstruite tout en béton après son incendie en 1934. N’étant plus vouée au culte, cette église a fait l’objet d’un appel à projets lancé par la Ville de Rouen, appel à projets qui concernait d’ailleurs plusieurs hauts lieux du patrimoine rouennais, et c’est la Brasserie Ragnar qui y est maintenant installée.

C’est un quartier riche de patrimoine religieux : l’Église y avait de nombreux couvents et monastères qui au fil des années se sont révélés ruineux à entretenir et rénover. Si le Monastère des Bénédictines rue Bourg l’Abbé est toujours en activité, le Couvent des Dominicains au-dessus du lycée Corneille a déjà été vendu à des promoteurs privés qui l’ont transformé en résidence haut de gamme.

Sur la rue de Joyeuse, l’entraide Sainte-Marie disposait de nombreux locaux. Certains sont occupés actuellement par l’association Emergence-s qui y a un centre d’hébergement et de réadaptation sociale ; l’ancien foyer de jeunes filles, lui, a été vendu à un promoteur immobilier.

Si la rue de Joyeuse est actuellement sur le devant de la scène rouennaise, c’est qu’elle y est le théâtre d’un bras de fer de militants bien décidés à mettre en échec ce nouveau projet immobilier de résidence de standing qui prévoit de détruire quelque 4000 m2 de jardins et une partie des bâtiments classés pour créer 121 logements et 110 places de parking. Ils se battent pour l’idée qu’à cet emplacement seraient mieux venus des espaces verts ouverts au public et des jardins partagés.  C’est ainsi que l’ancien foyer de jeunes filles était occupé par ces militants et sympathisants regroupés dans ce collectif des « Jardins Joyeux » depuis l’été 2021 jusqu’au 11 janvier dernier, où les occupants au nombre de 14 adultes et 4 enfants, ont été expulsés aux petites heures du jour avec le recours à la force publique.

La presse locale et aussi nationale s’est fait l’écho cette expulsion avec blocage du quartier à la circulation, garde à vue de 8 personnes qui manifestaient semble-t-il pacifiquement, investissement en soirée de la salle du conseil municipal par les militants soutenus par les élus EELV, relogement en urgence des 10 personnes sans abri de manière que personne ne reste à la rue pour la nuit et engagement du maire à recevoir très vite une délégation. 

Difficile d’entrer dans le détail de cette affaire compliquée sur le plan juridique : permis de construire accordé par l’ancienne équipe municipale et aujourd’hui expurgé de tout recours, jugement d’expulsion, décision de la cour d’appel, décision du préfet de faire procéder à l’expulsion sans attendre le référé prévu le 2 février et sans application de la trêve hivernale…

A ce stade, le Maire espère pouvoir peser de tout son poids auprès du promoteur pour améliorer la qualité du projet immobilier afin qu’il respecte à la fois le patrimoine historique et les enjeux environnementaux quand les militants de leur côté ne désespèrent pas « pourrir la vie » du promoteur et le décourager de tout projet sur Rouen.  

A suivre car on reparlera assurément des Jardins Joyeux.