Martine s’est lancée, comme comédienne, dans l’aventure d’une création théâtrale. Récit enlevé de la genèse d’un ambitieux projet intergénérationnel. 

Par Martine Lelait 

A peine remise d’un épisode de covid, je me suis retrouvée un dimanche d’avril sur la scène du Théâtre « A l’Ouest » avec les comédiens de la troupe « Part’ âge » pour présenter « Meta World et autres petits cauchemars ». L’aboutissement d’un travail de théâtre amateur intergénérationnel qui avait démarré il y a plusieurs mois. Et qui nous a fait craindre longtemps de n’être pas concluant.  

Quinze jours avant la représentation, certains ne connaissaient pas encore bien leur texte. La générale avait dû être annulée pour cause de covid. Autrement dit, avant la représentation publique, nous n’avions encore jamais répété avec le groupe au grand complet. Nous n’avons découvert la configuration de la salle du Théâtre A l’Ouest que le jour J. La veille de ce grand jour, j’étais toujours testée positive. Notre metteur en scène en était à imaginer de me faire jouer de mon domicile en visio mais encore aurait-il fallu que nos moyens techniques le permettent. Fort heureusement, le matin même, avec enfin un test négatif, je pus rejoindre le reste de la troupe !

A notre grande surprise, malgré toutes nos incertitudes cumulées, la représentation s’est plutôt déroulée de manière fluide, à peine quelques trous de mémoire bien rattrapés par les partenaires de jeu ; les rires du public nous ont portés et nous nous sommes étonnés nous-mêmes d’avoir réussi ! 

Retour sur la genèse de ce projet démarré à l’automne 2021, après que la résidence seniors Domitys de Mont Saint Aignan a été retenue pour mettre en place cet atelier théâtre intergénérationnel, dans le cadre d’un appel à projets lancé par la Conférence des financeurs pour la prévention de la perte d’autonomie.

Emmenée par Martin-James Vanasse, metteur en scène d’origine québécoise, la troupe a commencé à se former à partir septembre 2021. 

Autant il a été relativement facile de constituer le groupe des seniors, autant il a été plus délicat d’accueillir des jeunes et ce, malgré d’une part, les informations relayées au niveau de l’Université et de la Mairie de Mont Saint Aignan et malgré d’autre part, le créneau retenu des mercredis après-midi pour l’atelier. Certains jeunes sont venus faire de brèves apparitions avant de repartir pour différentes raisons, disponibilité sans doute réduite par rapport à celle dont disposent les retraités, « punition » des parents car résultats scolaires jugés non suffisants… D’autres jeunes venus du théâtre d’improvisation sont cependant venus à la rescousse pour consolider le groupe. La mixité jeunes/vieux a constitué une richesse dans la démarche.

Sur la quinzaine de seniors mobilisés, il est à noter un groupe quasi exclusivement composé de femmes à l’exception d’un seul participant homme. Certains avaient déjà touché de près ou de loin au théâtre, d’autres pas du tout. Pour l’une même, c’était un rêve de jeunesse !

Les premières semaines, la troupe a beaucoup bavardé, cogité, il lui fallait le temps d’apprendre à se connaître, d’avancer des idées, quels sujets pourrions-nous aborder et comment les traiter ? Martin-James Vanasse nous a fait travailler sur des improvisations mobilisant différents outils du théâtre :  action/personnages/lieux, victime/bourreau/sauveur.  

Le choix du sujet, le métavers s’est imposé suite à de nombreuses discussions sur la place des outils informatiques et des réseaux sociaux dans nos vies. Nos approches respectives étaient contrastées. Il nous est apparu judicieux de traiter avec humour différents sujets de société : consultations médicales en ligne, alimentation, manifestations, réchauffement climatique, guerre nucléaire, procréation assistée. Ainsi dans le 1er acte, nous étions tous des avatars hyper connectés, mus par des humains en lunettes 3D quand une tempête solaire venait griller tous les réseaux électriques et nous ramènait à l’acte 2 dans la situation d’humains livrés à eux-mêmes, soudain conscients de leur faiblesse, démunis et confrontés à leurs pairs, obligés de se nourrir par eux-mêmes, de parler avec leurs enfants, de se parler entre eux pour de vrai…

Puis est venu le temps de l’écriture et de la co-écriture, le metteur en scène laissant à celles qui le souhaitaient le soin d’enrichir les textes, d’affiner les personnages. Là encore beaucoup de discussions sur ce qui semblait bon ou pas de retenir, quelques exemples : « Amazob » pour parodier Amazon a été fort discuté … Idem, devais-je mettre ou pas la photo de Poutine dans la valise nucléaire vantée dans un pastiche d’émission télé ? 

Les échanges ont été riches, les interrogations plus que nombreuses : notre mémoire serait-elle encore en capacité d’apprendre tous ces textes, de les retenir ? Saurions-nous être à l’aise sous le regard d’un public ? Comment gérer les déplacements d’une troupe nombreuse comme la nôtre sur une petite scène plutôt habituée à accueillir des stand-up ? Toutes interrogations qui sont tombées ce dimanche d’avril pour notre plus grand bonheur !

Pour les résidents de Domitys, dont nous avons squatté la salle de jeux/télévision tous les mercredis plusieurs mois durant, ce n’est que partie remise : nous rejouerons pour eux, à domicile.