Au-delà de l’émotion provoquée par l’exode des familles ukrainiennes sur les routes bombardées et l’envie de les aider, il y a la réalité. Sa réalité. Comment aider longtemps des personnes qu’on a accueillies chez soi ? 

Par Martine Lelait

La guerre en Ukraine a généré parmi les Occidentaux, et notamment les Français, un véritable élan de solidarité envers les Ukrainiens obligés de s’exiler pour se protéger. 

On ne m’empêchera pas de regretter que certains réfugiés attirent plus de sympathie et de compassion que d’autres ; comme si la guerre n’avait pas partout dans le monde, le même effet sur les civils, femmes et enfants. Sans doute y-a-t-il à l’œuvre derrière cela, une forme d’effet miroir ; ces réfugiés nous ressemblent beaucoup et de par cette similarité, ils activent nos peurs, nos souvenirs pour les plus anciens qui ont connu l’exode lors de la 2ème guerre mondiale, nos imaginations ; que ferions-nous si, à notre tour, nous étions obligés d’émigrer et de nous retrouver en pays inconnu, laissant certains de nos proches, familles, amis, sous le feu des combats, sans être certains de les retrouver un jour ?

Très tôt donc, dans un grand élan de générosité, des habitants se sont mobilisés pour accueillir des réfugiés à leur domicile. Mais tous ont-ils bien pris conscience de ce que cela allait supposer ?

Déjà à la permanence de premier accueil des réfugiés ouverte depuis le 21 mars à la mairie annexe Pasteur de Rouen et portée par l’association Emergence-s en lien avec le Carrefour des Solidarités et d’autres partenaires associatifs, on a pu voir des familles se présenter avec « leurs réfugiés ».

Pour certains, ils n’avaient pas anticipé que cet hébergement allait peut-être s’installer dans la durée ; vont-ils oser laisser leur domicile à ces étrangers au moment où ils vont reprendre le travail en présentiel ? Quid pour d’autres qui envisagent de partir en vacances ?  D’autres encore n’avaient pas compris que l’hébergement incluait aussi de nourrir, peut-être de vêtir, de prendre en charge plus largement au-delà du seul toit, en attendant que l’autorisation provisoire de séjour au titre de la protection temporaire soit débloquée par la Préfecture avec le droit à l’allocation dédiée aux demandeurs d’asile.

D’autres, conscients de leurs limites ont pourtant fait acte de générosité, tel ce Monsieur qui a accueilli un soir des réfugiés au sortir de la gare de Rouen, les a hébergés juste pour la nuit puis leur a payé trois nuits d’hôtel pour leur permettre de se poser et de voir venir. Telle autre famille a aménagé un étage de sa ferme de villégiature pour les Ukrainiens qu’elle accueille. Tous globalement accompagnent physiquement les personnes qu’elles hébergent dans les différentes démarches et notamment vers la Préfecture. Lorsque ces familles hébergeantes se rencontrent, cela donne parfois de beaux échanges, de renseignements, de tuyaux, de conseils, certains échangent leurs numéros de téléphone et adresses mail pour rester en contact et tisser des réseaux de solidarité. Pendant ce temps-là, les Ukrainiens font connaissance et discutent entre eux, tissent ou retissent eux aussi des liens.

Ce ne sont là que quelques vignettes, quelques situations, quelques exemples croisés au fil de cet accueil, cela pourrait sembler réducteur et cela n’a certes pas la prétention d’épuiser le sujet.

 A ce jour, je n’ai vu nulle part de données précises ; sur les 3 millions de réfugiés ukrainiens dont parlent les journaux, combien sont arrivés en France, combien en Normandie, combien à Rouen ? Combien ont trouvé accueil dans des familles ? Combien sont à l’hôtel ? Combien ont vu leur autorisation provisoire de séjour accordée ?… Toutes questions auxquelles nous aurons peut-être réponse un peu plus tard quand tout se sera bien rôdé. Pour l’instant on apprend en marchant.