Comment faire front commun sur le féminisme entre femmes de différentes générations ? En essayant de se connaître pour mieux se comprendre.  C’est ce qui a motivé Claudie, féministe octogénaire, qui est partie à la rencontre de plusieurs vingtenaires pour échanger sur les droits des femmes hier et aujourd’hui.  

Par Claudie Perrot

Il y a quelque temps, j’ai eu l’occasion de rencontrer un petit groupe de jeunes filles vingtenaires, toutes étudiantes. Elles échangeaient sur le féminisme et sur les femmes qui ont milité et témoigné en faveur de ce mouvement. L’engagement et la ténacité de Gisèle Halimi et Simone Veil les fascinaient particulièrement.
Après un certain temps, l’une d’entre elles m’a interpellée : « Et vous, Claudie, qu’en pensez-vous ? »
Puisque j’étais aimablement sollicitée, telle a été ma réponse. « Moi, j’ai connu la guerre. J’ai vécu plusieurs années sans avoir le droit de voter, sans pouvoir ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de mon mari, quant à la contraception, n’en parlons pas ! Mais pour vous, qu’est-ce qu’être une femme en 2022 ? »
Ces jeunes filles ont répondu avec beaucoup de spontanéité et je transmets leurs propos aussi fidèlement que possible, sans a priori ni jugement d’aucune sorte.
Toutes reconnaissent être libres d’affirmer leurs opinions et libres de leurs choix. Elles constatent que leurs mères, sans être forcément militantes ont voulu exercer une activité professionnelle et que, par conséquent, ces mères, ont permis à leurs filles d’acquérir tôt cette autonomie que l’on réservait d’abord aux garçons. C’est sans doute la raison pour laquelle elles pensent au déroulement de leur carrière et veulent être indépendantes économiquement. Quand elles ont entendu le polémiste et ancien candidat aux Présidentielles de 2022 Eric Zemmour,  affirmer dans les médias que les femmes n’incarnaient pas le pouvoir, et qu’elles n’étaient pas faites pour accéder aux responsabilités,  elles se sont scandalisées.
Elles reconnaissent que les conquêtes de mai 68 ont été déterminantes pour les droits des femmes à disposer de leur vie (se marier ou non), et de leur corps (procréer ou non). Voilà pourquoi leurs réactions ont été très vives à l’annonce de la décision de la Cour Suprême américaine de révoquer le droit à l’avortement, chaque état pouvant désormais légiférer sur ce sujet ! Qu’une grande démocratie revienne sur ce droit fondamental et marque un coup d’arrêt à la liberté des femmes les a bouleversées.  S’agit-il d’une régression, s’interrogeaient-elles ? Qu’en penserait Simone Veil ?
Tout en étant très tolérantes vis à vis des différences sexuelles, elles envisagent une vie de couple avec un homme. « De mariage, il n’en est pas question, un Pacs à la rigueur » ! Toutefois, l’ensemble de ce groupe a exprimé le souhait de former avec leur conjoint un couple solide, et sécurisant pour les enfants à venir. Toutes envisagent en effet de devenir mère, même si elles ont conscience que conjuguer vie professionnelle et maternité ne sera pas aisé et qu’il faudra veiller à un bon partage des taches avec leur partenaire. Gageons qu’elles y parviennent car les activités domestiques ne font pas partie de leurs préoccupations premières !
Ces jeunes filles nées en 2000 vivent l’essor des réseaux sociaux et ont suivi le mouvement MeToo. Elles sont conscientes du harcèlement sexuel dont les femmes sont victimes et des violences dont elles font l’objet. « La femme n’est pas qu’un objet de désir » affirment-elles, tout en s’interrogeant sur les diktats de la mode, de la beauté, de la minceur concernant un certain modèle de femme comme Kim Kardashian qui « transforme son corps en marchandise ». 
Ces mêmes réseaux sociaux constituent un terrain propice aux cyberharceleurs qui exploitent les faiblesses des gens et cherchent à humilier leurs victimes tout en se cachant derrière de faux profils. L’affaire Mila, adolescente de 16 ans insultée et menacée de mort les a profondément troublées. 

Il est tard. Cette discussion nourrie, empreinte de sincérité et de simplicité, a été riche d’enseignements pour une personne de mon âge, même si j’ai été préparée depuis mon enfance à l’idée que le droit des femmes est fondamental et inaliénable.
Ce sont des jeunes femmes de 20 ans et leurs convictions d’aujourd’hui ne seront peut-être pas les mêmes demain… Alors, prenons rendez-vous dans quelques années ?