La presse a commencé à publier différents articles sur les effets supposés du Covid sur la natalité, en France mais aussi dans le monde. Après avoir tablé sur un baby-boom consécutif au 1er confinement, il semble au contraire que compte-tenu des incertitudes liées à l’avenir, beaucoup remettent à un plus tard hypothétique, voire abandonnent définitivement, tout projet de mise en route de bébés.
J’ai voulu interroger une jeune femme, Lucille,  qui a décidé de ne pas avoir d’enfants.

Par Martine Lelait. (Rouen).

ML : Vous avez 30 ans et vous dites que vous n’aurez jamais d’enfant. Est-ce pour des raisons professionnelles ?  À cause de l’insécurité qu’a apportée la pandémie ? Pour d’autres raisons ?

Lucille : En vérité, c’est une décision qui se base rarement sur un seul facteur. Avoir un enfant, ça bouscule absolument tous les aspects de votre vie. Du coup, ne pas en faire devient un choix à la fois personnel, professionnel et politique. Pour ma part, mon parcours professionnel gravite autour du milieu du théâtre, qui avouons-le, n’est ni le plus stable financièrement (particulièrement en temps de crise comme en ce moment), ni le plus structuré en terme d’horaires ou de mobilité, et ça semble difficile de concilier ça avec un enfant sans devoir annuler des projets qui vous tiennent à cœur. 

De manière plus globale, c’est aussi un choix politique. Quand on regarde l’état du monde actuel qui est une catastrophe aussi bien écologiquement que socialement, ça ne rend pas très optimiste pour l’avenir que pourraient avoir d’éventuels enfants au milieu de tout ça. Et pour finir sur un point plus personnel, je n’ai jamais ressenti ce que certain·e·s appellent le « miracle de la vie », mais plutôt le contraire : l’idée d’une grossesse et d’un accouchement ne me font pas trop rêver, voire même me dégoûtent un peu. Cela en terrifie même certaines au point qu’il y a un nom pour ça : la tokophobie !

ML : Cette idée vous est venue vers quel âge et comment a-t-elle mûri ? 

Lucille : J’ai commencé à me rendre compte assez jeune que ce n’était pas le projet de vie qui m’attirait. J’en ai parlé pour la première fois avec la gynécologue qui me suivait quand j’avais 23 ans. A l’époque, j’étais en galère face à la contraception car la pilule n’était plus une option qui me convenait, mais j’avais encore besoin de temps pour mûrir ma réflexion. J’ai alors opté pour un stérilet  qui me laissait cinq ans de marge avant d’avoir à y repenser, mais arrivée à 27 ans, j’avais progressé dans tous les aspects de ma vie, j’avais aussi plongé à fond dans le militantisme féministe et j’étais sûre de moi. J’ai commencé les démarches pour obtenir une stérilisation volontaire, épaulée par cette médecin qui avait suivi mon questionnement depuis le début.

ML : Est-ce que vous avez rencontré des difficultés dans votre entourage  pour faire accepter cette idée ? Comment les gens réagissent-ils lorsque vous en parlez ? 

Lucille : Dans mon entourage, ça a été assez facile. J’ai une maman super qui ne me mettait pas la pression pour devenir grand-mère et qui a jugé que le plus important était  que je suive le chemin qui me convenait. C’est dans les fréquentations moins proches que ça coince davantage : les mères de certains de mes anciens compagnons qui voulaient à tout prix des petits enfants, des gens qui ne comprennent pas qu’on peut avoir d’autres ambitions dans la vie, qui nous trouvent « égoïstes », qui nous disent « ça viendra » et nous parlent d’horloge biologique… Dans ces cas-là, on entend un peu tout et n’importe quoi, même des « Oui, mais tu penses à celles qui ne peuvent pas en avoir ? » comme si on leur devait de tomber enceinte car elles n’en ont pas la possibilité ! Et le pire qu’on peut entendre dans tout ça, vient malheureusement du corps médical. Obtenir une stérilisation, c’est un parcours de combattante. On se heurte à des médecins qui vous infantilisent, vous disent que vous ne savez pas ce que vous voulez à votre âge, vous disent qu’ils refusent en-dessous de 35 ans (alors que la loi de 2001 l’autorise à partir de 18 ans), vous sortent des jugements paternalistes du type « Oui mais quand vous allez rencontrer l’homme de votre vie ? » comme si cette vie ne pouvait se faire que dans ce schéma bien tracé… C’est épuisant à force.

ML : Pour vous c’est une option réversible ou pas ? Le cas échéant  qu’est ce qui pourrait vous faire changer d’avis ?

Lucille : Pour ce qui me concerne,  j’ai bénéficié d’une ligature des trompes. Après cette opération la survenue d’une grossesse est plus qu’hypothétique ; pour concevoir un enfant il reste l’option de la PMA (Procréation Médicalement Assistée) bien entendu, ou même une chirurgie de re-perméabilisation des trompes, qui reste toutefois peu certaine de réussite. Je ne dis pas qu’à terme l’envie d’élever un enfant ne me viendra pas, on ne sait jamais de quoi demain est fait, mais si c’est le cas, je sais que je me tournerai vers l’adoption, car ce qui me semble le plus important là-dedans, ce n’est pas de transmettre des gènes mais seulement de donner sa chance à un enfant de grandir dans l’environnement le plus épanouissant et le plus bienveillant possible.

ML : Connaissez-vous dans votre entourage des personnes qui ont fait le même choix que vous ? Pensez-vous que c’est une tendance qui gagne du terrain ou au contraire restez-vous peu nombreuses à avoir fait ce choix de vie ?

Lucille : Pour le passage à l’acte définitif, je suis la première personne que je connaisse à avoir franchi le pas. Mais c’est amusant car depuis, toutes mes copines intéressées ou qui ont elles-mêmes des amies qui se questionnent sur le sujet me contactent pour avoir des infos.  Je me rends compte qu’on n’est pas si rares que ça finalement, mais il y a trop peu d’informations qui circulent sur le sujet. Toutefois, sur Facebook, il existe des groupes « child-free » (traduction littérale : « libres d’enfants ») où on s’interroge entre membres ; on s’y refourgue sous le manteau les coordonnées des soignants et soignantes qui acceptent de pratiquer les interventions chirurgicales ainsi que les coordonnées des praticiens à fuir absolument sous peine de recevoir un refus et des jugements de valeur sans argument médical. On peut parfois sur ces réseaux sociaux lire des échanges incroyables où des membres doivent traverser la moitié de la France pour trouver un chirurgien et ce sont d’autres membres du groupe qui leur proposent l’hébergement le temps de se remettre. Quoi qu’il en soit, ne pas vouloir d’enfant et décider de se faire ligaturer les trompes reste aujourd’hui un parcours de combattantes mais qui peut être soutenu par un véritable « réseau de résistance », résistance à l’opinion dominante et réseau de solidarité entre femmes qui portent le même combat.