Par Marie H.

J’apprends qu’un professeur de médecine avisé, pénurie de vaccin oblige, trouverait plus sage de vacciner les jeunes avant les plus âgés. Le bon professeur nous l’affirme, pour un octogénaire, vivre dix ans de plus, n’est pas indispensable. Il a vécu le meilleur de son temps, à quoi bon s’obstiner ? Il doit pouvoir renoncer à la vie dans joie et la bonne humeur. Ben, voyons !

Lors du premier confinement, et il y a peu, nous, les personnes âgées, étions l’objet de toutes les attentions, il fallait nous protéger. Chacun nous chérissait. La France entière se désolait. « Nous ne pouvons plus aller embrasser nos grands-parents, nos parents ; que vont devenir ces êtres chers loin de nous ? Certains vont « partir » sans un adieu et nous laisser seuls avec notre chagrin. Comment ferons-nous notre deuil ? ».

Eh bien, le vent a tourné, la France s’est ressaisie. Pendant que les vieux renoncent à mourir, la jeunesse agonise. Une guerre entre générations se profile-t-elle à l’horizon ? Le Président nous l’a répété : nous sommes en guerre. Dans toute guerre qui se respecte, il y a des morts. En 1914-1918 c’étaient les jeunes qui mouraient dans les tranchées. Par un juste retour des choses, cela serait à présent, à nous les vieux, de mourir. Voilà ce qui se murmure « dans les milieux autorisés ».

Mourir d’accord, mais de mort lente (voir Georges Brassens). Ne nous plaignons pas : nés sous les bombes, nous mourons dans une apothéose de fraternité solidaire. 

Soyons en convaincus, le professeur et ses semblables, leur quatre-vingtième anniversaire venu, seront ravis de quitter cette vallée de larmes.

Il leur faudra, comme à nous, oublier le parfum des roses et des lilas et les crépuscules dorés, le chant des oiseaux, le vent d’automne dans les arbres dénudés, le crissement de la neige et celui du sable sous nos pas, le goût des cerises et celui du champagne ? Peut-être se diront-ils que les plus beaux paradis sont les paradis perdus.

En attendant, nous sommes quelques uns à avoir l’outrecuidance de choisir la vie. Le peu d’avenir qui nous reste, nous en ferons un bien précieux, nous cultiverons la joie, nous abandonnerons l’espoir et préférerons les jours meilleurs au monde meilleur. Nous oublierons notre faiblesse, nous nous tiendrons chaud. Nous ferons de l’existence notre dernier refuge et nous ferons vivre un secret soleil sur toute cette nuit.