A l’heure où l’actualité regorge de témoignages d’anciens enfants maltraités dans les structures où ils ont été accueillis, Martine a rencontré un Rouennais qui se félicite d’avoir vécu dans un orphelinat. 

Par Martine Lelait

Vous dites régulièrement qu’avoir été accueilli dans un orphelinat a représenté une chance pour vous. Quel est donc cet établissement ?

C’était un orphelinat d’Orléans, l’institution Serenne, du nom de celui qui l’avait créée en 1891. Ce qui le caractérisait par rapport à d’autres établissements de l’époque, c’est qu’il n’était pas à la main des curés ; c’était un orphelinat laïc. Il était dirigé par Pierre Chevaldonné, un instituteur de formation, également militant associatif, syndicaliste et engagé politiquement à la Section française de l’International ouvrière (SFIO) du Loiret. Il a aussi été administrateur de la CAF, de l’URSSAF, du Centre Hospitalier et assesseur auprès du tribunal pour enfants. Bref, c’était un homme pétri de valeurs humanistes qui gérait cet orphelinat en bon père de famille, avec sa femme.

Combien d’années y avez-vous vécu ?

J’avais 9 ans quand j’y suis entré. C’était en 1943. Et j’en suis sorti juste après avoir pris mes 21 ans – c’était l’âge de la majorité à l’époque – parce que je m’étais engagé dans l’armée.

Qu’est-ce qui vous a amené à y être pensionnaire ?

J’y ai été placé comme pupille de la Nation. Mon père, alors qu’il avait une vingtaine d’années, a été blessé à la guerre 14-18. Il en est revenu avec une jambe en moins et est resté invalide. Il est mort jeune, à 45 ou 46 ans et c’est après sa mort que j’ai été placé à l’orphelinat avec mes deux frères. C’était une institution qui accueillait garçons et filles mais ma sœur qui était l’aînée et avait déjà 14 ans, est partie travailler comme domestique chez les bonnes sœurs.

Pourquoi dîtes-vous y avoir vécu de belles années ?

En 1943, c’était la guerre et les Français souffraient de restrictions alimentaires. Dans cet orphelinat, nous étions plutôt mieux nourris que le reste de la population. D’ailleurs, nos camarades d’écoles, nous étions scolarisés à l’extérieur, nous enviaient, nous « les gars de la fouine » comme ils nous appelaient parce qu’on avait de meilleurs goûters qu’eux ! Nous n’étions pas sans faire de bêtises mais jamais nous n’étions punis sur la nourriture, pas même privés de dessert, le directeur y tenait beaucoup. Les punitions qui nous étaient infligées consistaient à apprendre des lignes par cœur et à les réciter, le nombre de lignes variant selon l’âge des enfants. Être placé dans cet orphelinat m’a permis de rester avec mes frères, et sans doute évité une enfance miséreuse. Peut-être aurais-je mal tourné, sinon…J’ai gardé un tel bon souvenir de cette époque que quelques années plus tard, je me suis rendu à Orléans avec mon épouse pour revoir ce directeur et le remercier. « Tout ce que je suis et tout ce que je sais, c’est à vous que je le dois », lui ai-je déclaré.