Si c’était à refaire, Andrée choisirait d’avoir 20 ans aujourd’hui. Elle sortirait sans demander l’autorisation de ses parents et aimerait en toute liberté. 

Par Andrée Lepetit

Il m’arrive, en regardant vivre certaines vingtenaires de ma connaissance, d’envier leur liberté. Liberté de sortir à leur guise, y compris le soir. Liberté d’aimer et de dormir ailleurs, y compris le premier soir ! Liberté de vivre avec l’homme qu’elles aiment. Liberté de choisir un métier et d’accepter des responsabilités qui ont été si longtemps réservées aux hommes. Quelle chance !  

Si c’était à refaire, je choisirais d’avoir 20 ans aujourd’hui. Car l’époque où j’ai eu 20 ans n’offrait pas tant de libertés pour les jeunes femmes. Elles vivaient jusqu’à leur mariage sous le contrôle de leurs parents. Il fallait quérir leur approbation pour tout : sortir le soir, aller danser, fréquenter tel garçon, choisir telle formation. Les mères, parfois plus encore que les pères, craignaient la peur du scandale pour leur fille, si d’aventure celle-ci couchait avant le mariage et se retrouvait « fille-mère ». Un statut honteux, qui était montré du doigt et couvrait de honte toute la famille de la jeune fille. 

Encore, moi, je n’ai pas eu à me plaindre. J’avais un père moderne, ouvert et plus tolérant que la moyenne. C’est lui qui m’a inscrite à un cours de danse du soir, pour me permettre de sortir une fois par semaine et de rencontrer des filles et des garçons de mon âge. Que du bonheur ! 

C’est là que j’ai rencontré l’homme de ma vie. Le seul que j’ai aimé …et connu charnellement.  Mais pas tout suite. La pilule n’existant pas, il a fallu rester sages longtemps. Voilà pourquoi nous avons pensé assez vite au mariage ! Problème : quand je l’ai rencontré, mon futur époux n’avait pas encore accompli son service militaire. Or, « pas question de mariage avant le service militaire », avait dit mon beau-père. Il nous a fallu être patients. D’autant plus que la séparation a été longue. Durant la guerre d’Algérie, le service militaire obligatoire durait 30 mois. Nous avons célébré nos fiançailles quelques semaines avant le départ de mon fiancé pour l’Allemagne, où il avait été affecté. Quel chagrin, nous avons éprouvé, au moment d’être séparés. Tant d’inconnues devant nous. Seule nous réconfortait l’idée que nous allions nous écrire souvent. J’ai vécu dans l’attente des permissions. Heureusement, je travaillais. J’étais secrétaire dans l’administration de la reconstruction. 

Finalement, je me suis mariée à l’âge de 23 ans. Ma fille est née un an plus tard. La méthode Ogino, méthode soit-disant contraceptive, basée sur le calcul des jours fertiles, n’était pas très fiable. J’ai continué à travailler jusqu’à la naissance de mon fils. La pilule est arrivée après sa naissance. J’ai repris le travail lorsque mon fils est parti de la maison à 18 ans. Un temps partiel chez une avocate.  

Heureuses jeunes femmes d’aujourd’hui, tellement plus libres de choisir leur vie. Mais le sont-elles vraiment plus que nous hier, heureuses ? Pas sûr. D’autres problèmes existent, notamment le chômage. Cela dit, ma jeunesse me laisse de bons souvenirs quand-même Car des joies, il y en a eu, malgré tout.