Jean-François est un grand marcheur. En témoigne son palmarès éblouissant. A quelques mois de prendre sa retraite, il a décidé de faire le tour de la Seine-Maritime et de provoquer des rencontres avec des amis et personnes croisées durant sa vie professionnelle. 

Par Martine Lelait 

Voilà plusieurs semaines déjà que je veux raconter une aventure pas ordinaire car cette histoire n’appartient pas qu’à moi seule. 

Cette histoire est celle d’un de mes anciens collègues, Jean-François, avec qui j’ai travaillé presque 30 ans. C’est un grand marcheur (1m 88, c’est lui qui tient à le préciser ! ), qui a fait de nombreux voyages et parmi ceux dont j’ai entendu parler,  j’en citerai trois, tout à fait admirables à mes yeux :

  • son périple pédestre de Brighton à Istanbul, 
  • celui de Canterbury jusqu’au talon de la botte de l’Italie,
  • et celui de Copenhague jusqu’aux Saintes-Marie de la Mer,

Bref, ce marcheur convaincu a parcouru l’Europe d’Ouest en Est puis du Nord au Sud. 

Après le premier confinement, qui l’a stoppé net en Espagne et empêché de rallier l’Angleterre depuis Gibraltar où il se trouvait, Jean-François a décidé que son prochain voyage ne le ferait plus franchir de frontières.  

Ayant travaillé quasiment toute sa carrière pour le compte du Département de la Seine-Maritime (la collectivité), il a opté pour le tour du département au plus près de ses frontières administratives, tout en cherchant à rester sur les routes et chemins non privés. Pour réaliser ce périple, il a adapté l’initiative de l’alpiniste Lionel Daudet, lequel a raconté dans « Le tour de France exactement » comment suivre au mètre près, les frontières et le littoral. 

Cependant, Jean-François y a apporté une note toute personnelle et vraiment originale. Il a proposé aux personnes qu’il connaissait, amis ou collègues de travail, de le retrouver à telle ou telle étape de son parcours pour lui remettre des affaires. Moi, par exemple, je lui ai apporté un sac, qu’il m’avait confié par avance, et j’ai remporté en échange les cartes IGN (il marche au papier et pas au GPS !) et les affaires dont il n’avait plus besoin. Cette petite communauté que Jean-François a fédérée autour de sa marche s’est aussi retrouvée dans les pages d’un carnet qu’il avait emmené avec lui. Chacun a pu y consigner un mot, quelques lignes pour laisser une trace sur les pas de Jean-François. C’est ainsi que cette activité solitaire, la marche, s’est transformée en une activité solidaire.

Méticuleux dans ses préparatifs (et amateur de chiffres !), Jean-François avait tout calculé par avance, du poids de son sac à dos jusqu’au moment opportun de passer des vêtements d’été aux vêtements de mi-saison et de voir un(e) pédicure pour le « rechapage » des pieds, et bien-sûr le détail de l’itinéraire : 21 étapes du 2 au 22 septembre, 707 km à parcourir, 23 cours d’eau à franchir, 119 communes et 11 intercommunalités à traverser, 11 ateliers et chantiers d’insertion à aller saluer sur son chemin, tous partenaires avec lesquels il avait eu à travailler, pour certains depuis le début des années 90. Pour ma part, j’avais prévu de le retrouver lors de son passage à Dieppe où le directeur et les salariés du chantier d’insertion des Restaurants du Cœur nous attendaient.

Quand je l’ai retrouvé ce matin du 13 septembre, Jean-François marchait depuis longtemps déjà. Il s’était levé à 5 heures à Quiberville et était à la moitié de son parcours. La rencontre avec les salariés en insertion s’est révélée intéressante. Jean-François a répondu aux questions, expliquant ses préoccupations de marcheur – boire, manger, dormir, se laver -, la nécessité de se connaître soi-même – ses capacités et ses propres limites -, et de savoir déroger, voire abandonner si la sécurité l’exigeait. Il a rappelé combien il était important lorsque l’on marche de rester disponible pour la beauté mais aussi pour l’adversité. 

A l’heure où je me mets enfin à raconter tout cela, il a bouclé la boucle (dans le délai qu’il s’était donné) et à son retour, il nous a restitué cette espèce d’œuvre collective, ce patchwork de messages glanés aux confins de la Seine-Maritime. Jean-François toujours plein d’à-propos et prêt à jouer avec les mots, l’appelle son « patchwalk ».