Revenant de plusieurs mois passés en Martinique, Andrée a vécu en direct la hausse des prix des denrées alimentaires. Une inflation qui complique l’existence de la population. Mais qui prend vraiment la mesure des difficultés des départements d’outre-mer à Paris ?
Par Andrée Médec
L’inflation augmente en France. Elle galope dans les Dom. Se nourrir est devenu compliqué pour certaines familles antillaises.
Petit rappel : dans les départements d’outre-mer, on ne peut pas traiter de « la vie chère » sans évoquer leur éloignement de la France hexagonale ce qui les pénalise à cause des frais de transports incontournables. Un PDG de la grande distribution expliquait récemment qu’en Martinique, un container de pâtes, coûtait avant même de toucher le sol de l’île, 46% plus cher que son prix de départ à cause des transports maritimes, de l’octroi de mer, des coûts de centrales d’achat et de plateformes, et tout cela avant même que le distributeur ait pris sa marge ! Quand on sait que 90% des produits alimentaires distribués en Martinique proviennent de l’extérieur, on appréhende tout de suite mieux pourquoi se nourrir correctement est devenu un véritable casse-tête pour la population et oblige la majeure partie des Martiniquais à privilégier l’essentiel.
Néanmoins, si ce calcul peut aider à comprendre une partie du problème, il n’explique pas tout.
Il faut rappeler que l’apparition à la fin des années 60 des premiers supermarchés puis l’avènement des centres commerciaux et hypermarchés ont bouleversé le quotidien et modifié les habitudes : l’arrivée de la société de consommation a eu des effets particulièrement ravageurs dans les Dom. Prenant l’exemple de la Martinique, à peine sortie des plantations de cannes à sucre et des « débits de la régie », les Martiniquais se sont vus inonder « de plein d’choses qui donnent envie d’autres choses » et ont aussi découvert de nouveaux fruits et légumes venant d’ailleurs.
Les salaires, eux, n’ont pas suivi.
Si, pendant un temps, ils se sont « débrouillés » en continuant à acheter les légumes sur les marchés, choisissant la filière directe “du champ au consommateur”, la grande distribution a tout chamboulé en proposant aux agriculteurs de leur acheter leurs productions. Cela a entraîné la disparition de nombreux étals de petits producteurs sur les marchés et l’augmentation des produits de ceux qui restaient. Faire son marché devenant un luxe.
En février 2009, les « grèves contre la vie chère et la pwofitasyon » furent un cri d’alarme pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur la cherté de la vie dans les Dom et l’impossibilité de vivre dans ces conditions. Par « pwofitasyon», il fallait entendre l’enrichissement abusif de certains au détriment des populations. Lancé de Guadeloupe ce mouvement a fait tache d’huile en Martinique, puis en Guyane et à la Réunion. Tout était fermé et tout le monde était dans la rue pour manifester son ras-le-bol.
Au bout de deux mois de manifestations, moult discussions entre syndicats, élus, patronats et représentants de l’Etat, des accords furent trouvés. Un bouclier contre la vie chère fut mis en place avec engagement de l’Etat de vérifier les prix régulièrement. Après ces accords « contre la pwofitasyon », la vie a repris.
Mais le Covid est passé par là, puis la guerre en Ukraine a éclaté qui a entraîné des difficultés d’approvisionnement et une flambée des prix en France telle que les associations de consommateurs ont dû tirer la sonnette d’alarme.
Inévitablement, ces augmentations se sont répercutées dans les Dom, rendant la situation particulièrement insoutenable.
Trois exemples de prix hors promotion : le pack de six bouteilles d’Evian est à 10,75 € ; la brique de lait Candia est à 2,09 € ; le pack de douze rouleaux de papier hygiénique Confort Compact « Essential » coûte 9,19 €. Et je n’évoque pas les autres produits de consommation, d’hygiène et d’entretien de la maison.
Quant aux 5 fruits et légumes à consommer pour être en bonne santé, il faut oublier. Ceux qu’on pouvait encore trouver sur le marché local (à prix d’or) sont devenus immangeables à cause de la contamination des sols par le chlordécone déversé sur les bananeraies avec la bénédiction de l’Etat.
Une énième commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur le coût de la vie dans les territoires ultramarins a eu lieu le 17 mai. Qu’en sortira-t-il ? Je crains qu’il ne faille pas se faire trop d’illusions.
A part l’alimentation, un autre sujet préoccupe la population des Dom : l’augmentation du prix des billets d’avion, puisque la plupart des familles ont des attaches ici et là-bas. En mars 2023, il y a eu une augmentation de 36,2 % sur l’axe Antilles-France avec des pointes jusqu’à + 57% d’augmentation ! Les départements de Guyane et Réunion ont, eux, des augmentations plus modérées, respectivement de + 24% et + 18,09%. C’est Mayotte qui connaît l’évolution la plus faible avec + 5,8% (on sait pourquoi).
En août 2023, il faudra débourser 2 231 € pour se rendre aux Antilles, alors que, pour la même distance, un Paris/Miami coûte 1 037 € ! C’est la soupe à la grimace pour ceux qui ne pourront pas voir leurs familles, le billet coûtant trop cher. Aussi, une fois de plus, les députés et sénateurs antillais sont montés au créneau pour demander à l’Etat d’assumer son rôle concernant la « continuité territoriale » mise en place par lui et qui n’est pas appliquée dans les mêmes proportions pour tous. La Corse, depuis 1976, a été dotée – et c’est bien pour elle – d’une délégation de service public au titre de la continuité territoriale, qui s’élève aujourd’hui à 220 millions d’euros, ce qui correspond à 257 € par habitant ; pour le même service, l’enveloppe est de 45 millions d’euros pour l’ensemble des territoires ultramarins soit 16 € par habitant ! Là encore, une commission a été mise en place.
Il n’y a maintenant plus qu’à espérer que toutes ces « commissions d’enquêtes » diligentées par le Gouvernement aboutissent. Il serait en effet dangereux d’attendre qu’éclate une nouvelle grève, car elle pourrait se révéler bien plus lourde de conséquences que celle de 2009.