Nous terminons notre série estivale sur une note plus historique. L’été de ses dix ans, Marie a demandé à la vieille Tina, 90 ans, qui avait connu la Commune et lui avait décrit des scènes terribles de lui chanter le Temps des cerises.

Par Marie H. 

J’avais dix ans et je rendais visite à une dame de quatre-vingt-dix ans à qui me liait une vague parenté. Elle possédait une maison en haut de la butte à Montmartre et l’occupait avec sa sœur un peu plus jeune. La maison était entourée d’un jardin où poussait un magnifique cerisier. Chaque année, au mois de juin, j’allais, munie d’un panier, chercher les cerises qu’un voisin cueillait pour moi. C’étaient de très bonnes cerises « cœurs de pigeon » rouges et luisantes, très sucrées.

Cette dame que j’appelais Tina était née dans cette maison en 1863, elle avait connu la fin du Second Empire, elle avait huit ans lors de la Commune. Elle en avait gardé un triste souvenir de bruit et de fureur. Ses parents lui parlaient souvent de cette guerre civile où les plus pauvres s’étaient révoltés et avaient pris les armes pour combattre les  envahisseurs prussiens. L’armée en place s’était déshonorée en pourchassant la population civile, avec l’assentiment de l’ennemi.

Tina me parlait du mur des Fédérés où avaient été fusillés de nombreux communards. La répression exercée par les « Versaillais » avait été terrible. Ils arrêtaient les ouvriers dans la rue, tout homme ayant les mains noires était censé avoir manié la poudre, il était fusillé sans procès, souvent sur le champ. 

Un certain jeune homme nommé Jean-Baptiste Clément avait écrit une belle chanson mélancolique « le temps des cerises » en hommage à une jolie ambulancière bénévole, qui avait ramassé et soigné les blessés lors des combats qui avaient ensanglanté la butte. Il avait admiré et aimé, en secret, cette jeune femme.

Un jour de l’été de mes dix ans, à ma demande, Tina m’a joué au piano la chanson et me l’a apprise. La chanson est devenue célèbre et a été interprétée dans de nombreuses langues et par de nombreux chanteurs. Mais je n’ai jamais pu l’entendre sans me rappeler avec émotion le petit salon où une dame aux cheveux blancs, d’une voix encore claire, m’a chanté les fameux couplets :

J’aimerai toujours le temps des cerises
C’est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte
Et dame fortune en m’étant offerte
Ne saura jamais calmer ma douleur
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur.

Pour écouter « le temps des cerises » par Cora Vaucaire, cliquez ici.