Les étés de l’adolescence gardent une saveur inégalable et font paraître tous les suivants bien fades. Heureusement qu’il reste les témoins de ces étés pour s’en souvenir. C’est l’objet de la lettre que Marie envoie à son amie Ariane.
par Marie H.
Ma chère Ariane,
Merci pour ta longue lettre ; te lire est toujours un plaisir. Louis me donne régulièrement de tes nouvelles et je sais que ta santé reste bonne. J’espère vous revoir bientôt tous les deux.
Tu me demandes si je me souviens des étés de notre adolescence. Comment pourrai-je oublier le meilleur de nos vies ? Les années ont passé, nombreuses, mais dans le lointain de mes nuits sans sommeil, je revis les matins où nous allions surprendre les biches au bord de l’étang. Le soleil se levait et dissipait la brume. Blotties dans les roseaux nous contemplions les biches allongeant leurs têtes fines pour boire.
Le temps n’est plus, où mon cœur tout neuf battait plus fort à la vue d’un grand garçon brun, descendu de cheval pour emporter l’une de nous deux, serrée contre son large dos. C’était ton frère et c’était mon meilleur ami. Avec lui nous parcourions la campagne, nous arrêtant pour boire aux fontaines et saluer les amis. Le soir venu, nous dînions sous les arbres du jardin. Plus tard, à la tombée de la nuit, nos chants résonnaient accompagnés par un vieux piano désaccordé et une guitare solitaire. Nous étions vivants, plus que nous le serions jamais, si heureux d’exister.
Je revois aussi les amis partis avant l’heure. Ils sont désormais sans mémoire et sans regret. S’ils revenaient, ils retrouveraient la vieille maison au milieu de son grand jardin abandonné. Leurs yeux caresseraient le dessin effacé d’un tapis couleur de rose fanée. Par les fenêtres ouvertes sur un été d’autrefois, ils respireraient le parfum des roses et des lys de juillet. Comme nous saurions les aimer !
Pardonne-moi de m’être laissée aller à la nostalgie et d’avoir remué la poussière dorée de nos anciens étés. Au moins avons-nous la chance de pouvoir égrener de bons et chauds souvenirs.
Ici, à la campagne, l’été est chaud et ensoleillé. Dès l’aube les oiseaux chantent. Le chèvrefeuille embaume dans les haies et le soir les bouleaux frissonnent comme là-bas.C’est entendu, nous vous attendons fin août. Nous serons heureux de reprendre nos promenades et nos longues discussions du soir. A chaque âge ses plaisirs et ses joies, celles de l’amitié demeurent de saison. A bientôt donc. Je t’embrasse.