On accompagne aujourd’hui l’autisme avec davantage de sensibilité et d’intelligence qu’il y a quelques années. Françoise a eu l’occasion d’être le témoin de cette évolution.
Dans ce premier texte, elle raconte comment, dès son enfance, elle a rencontré un jeune homme autiste avec lequel elle a tissé des liens d’amitié. Il s’appelait André.

Par Françoise S.

A mon vieux copain ANDRE

On accompagne aujourd’hui l’autisme avec davantage de sensibilité et d’intelligence qu’il y a quelques années. J’en suis le témoin direct puisque j’ai eu l’occasion, dès mon enfance, de rencontrer un jeune homme autiste avec lequel j’ai tissé des liens d’amitié. Il s’appelait André.

Je me revois du haut de mes 6 ans face à ce grand jeune homme d’une trentaine d’années, un béret rivé sur la tête. Sa voix était aigüe et ses propos bizarres. Son apparence était celle d’un enfant qui n’avait pas beaucoup d’amis et encore moins de petite amie.                                    Mes parents disaient qu’il était « drôle » et « maniaque » et la plupart des gens le considéraient comme « arriéré » pensant qu’il ne savait ni lire ni écrire. Pour ma part, je le regardais avec un sourire étonné, jamais moqueur, j’étais surtout sensible à sa gentillesse et la confiance que je lui accordais n’a jamais été trahie. Il n’avait aucune méchanceté. 
Pour s’occuper, André construisait sans relâche des voies de chemin de fer, des trains, des autobus en meccano, et les faisait circuler en une sorte de mouvement perpétuel, dans l’entrée de sa maison située sur les hauteurs de Rouen. Nous nous retrouvions parfois tous les deux et jamais je ne me suis sentie en danger. Je me souviens de ces moments étonnants quand il m’emmenait à l’étage pour jouer merveilleusement (à mon avis) du violon pour moi seule ou quand nous allions nous promener dans le jardin. C’était mon copain. 
J’étais fascinée tandis que ma mère relativisait toujours ses capacités. Quand il jouait du violon par exemple, elle me faisait remarquer que c’était toujours le même air, mais elle ne parvenait pas à refroidir mon admiration.     
Je me souviens aussi avec une tendresse certaine de ses stéréotypies que l’on appelait à l’époque « manies ». Par exemple, André animait ses mains devant ses yeux comme des marionnettes qu’il avait appelées « Peta » et « Meno » (pied et main ?). C’est d’ailleurs le surnom que nous avions fini par lui donner affectueusement.

Dans la vie, André se montrait assez autonome même si, à ma connaissance, il n’a jamais été scolarisé ou placé en institution. Se déplaçant librement, il aimait nous rendre visite à l’appartement où il entrait sans frapper surprenant même parfois ma mère en tenue légère. Il faut avouer que, tout en étant bien élevé, il connaissait peu les habiletés sociales et encore moins les bonnes manières. C’est sans doute la raison pour laquelle ma mère ne se sentait pas très rassurée quand mon père s’absentait : « On ne sait jamais ! ».

André vivait seul avec sa mère au chignon grisonnant et au visage reflétant la douceur si particulière que peuvent développer les parents d’enfants handicapés. Elle avait connu plusieurs deuils dans sa vie, son mari et des enfants en fausse couche ainsi qu’une fille handicapée. André était tout son bonheur. 
En parlant d’elle, j’entendais souvent cette phrase : « Pourtant, c’est une femme bien ! ». Son père aussi était un homme « bien ». C’est ainsi qu’est née chez moi la conviction que le handicap ne doit pas constituer une honte familiale.   
Le décès de sa mère a été le drame de la vie d’André qui est devenu plus triste et plus agité. Nous l’avons souvent surpris à proférer un flot de paroles incohérentes, implorant sa mère, les mains vers le ciel, en pleurant : « Maman, maman, je veux aller avec toi dans la tombe ! ». Cet appel me bouleversait sans savoir vraiment comment agir.  
Plus tard, j’ai appris qu’André avait été admis dans une institution spécialisée, d’un type asilaire, et nous nous sommes perdus de vue, à mon grand regret.La découverte de l’autisme chez mon fils cadet a réveillé tous ces souvenirs mêlés de nostalgie. C’est ainsi que j’ai pu constater que, même s’il reste beaucoup à faire dans la prise en charge de l’autisme, beaucoup de chemin a été parcouru !        

Ces trente dernières années, des structures se sont créées en France grâce aux associations de parents, celles-ci traversent parfois des mers houleuses, aujourd’hui encore, elles doivent se battre pour les enfants autistes en Normandie et ailleurs.