Longtemps je n’ai pas eu le sentiment de vieillir. Au pire, j’étais un peu étonnée le matin de constater que la bonne femme croisée dans ma glace de salle de bain me ressemblait de moins en moins. Bizarre, bizarre… 

Par Martine Lelait

Je sais bien que le surpoids est là depuis un bon moment déjà, que l’arthrose aidant,  les articulations ne sont plus ce qu’elles étaient, que les randos ne sont plus guère pour moi, qu’il faut que je m’habitue à descendre plus difficilement les escaliers, et tout un tas de petites choses qui, au quotidien, ne se font plus dans la fluidité, mais au demeurant, je sais bien que la fille qui habite dans ce corps  est toujours la même ; on n’a pas changé de locataire, c’est juste l’appartement qui s’est un peu dégradé au fil des années. La vétusté ordinaire quoi !

J’ai beau me dire que je suis toujours la même, même cerveau, mêmes émotions, même cœur, il faut pourtant bien se résoudre à un peu de lucidité. Les événements de cette drôle d’année covidesque ont sensiblement modifié la donne.

D’un naturel plutôt optimiste, j’avais la capacité de rebondir sur les désagréments de la vie et je crois même que l’adversité me donnait naturellement la force de combattre pour m’en sortir. Bref j’étais forte et j’y croyais.

Bien qu’expulsée de chez moi par un incendie qui m’a obligée à être relogée ailleurs pendant quatre saisons entières, j’ai plutôt bien vécu le premier confinement, bien profité d’un magnifique jardin et d’un environnement favorable. Retraitée, je me considérais même comme privilégiée de n’avoir pas le risque de perdre de mon emploi ni à me mettre en danger comme tant d’autres pour aller travailler, soigner…

Et là, patatras, ce deuxième confinement, intervenu pile poil le jour de mon anniversaire, est venu tout mettre à bas. Bon d’accord, ce n’est pas lui tout seul, ni d’un coup d’un seul, ni en un seul jour. C’est plutôt un effritement insidieux de mes assurances, de ma confiance dans la vie, de mes projets devenus impossibles à réaliser, de ma capacité même à me projeter dans l’avenir, effritement progressif  qui a abouti à ce qu’un beau jour ou plutôt un mauvais jour de novembre, je n’ai plus eu envie de rien et surtout pas de décrocher le téléphone, ni de voir du monde… et ça tombait bien car voir du monde ce n’était pas franchement permis ! Dans ces cas là, une seule solution pour moi, hiberner, me renfermer dans ma carapace, lire, cogiter  et attendre que ça passe… 

Et ça passe… ça a passé mais laisse des traces ; mais ça m’interroge et m’inquiète ; alors ça peut m’arriver, à moi aussi, cette espèce de dépression passagère ? Oh, j’en ai lu des articles sur le mal-être, voire les dégâts psychiques que peut provoquer le confinement mais c’était pour les autres, pas pour moi qui étais si forte…

Bon, la prise de conscience est rude. Voilà que je ne suis plus invincible, pas à l’abri. Je suis même dans les populations plus fragiles face à la COVID. J’ai peur d’être malade, j’ai peur si je suis malade de contaminer d’autres personnes, j’ai peur si je suis malade de ne pas m’en remettre, bref j’ai peur de mourir avant d’avoir fini de vivre parce qu’en moi je ne me sens pas prête du tout à mourir, trop jeune encore dans ma tête et dans mon cœur pour ça … 

Et tiens, alors que je termine ce papier, je viens de recevoir en cadeau « La voyageuse de nuit » de Laure ADLER ; j’aurais peut-être dû  lire ses réflexions sur la vieillesse avant d’écrire mais tant pis, on ne choisit pas toujours l’ordre des choses !