Un soir pendant le confinement, toutes les cloches des églises ont retenti pour remercier le personnel soignant qui sauve des vies. Magnifique concert !
Puis Pâques est arrivée. C’était l’époque où nous attendions que les cloches reviennent de Rome pour déposer des œufs en chocolat dans le jardin. Cette année, elles sont restées à Rome pour cause de confinement… Des souvenirs ont surgi de ma mémoire.
Lors de mes promenades en ville, j’aimais écouter les cloches de la cathédrale, marquant les heures, les fêtes et cérémonies.
Ce que je préférais, c’était le carillon. Muet depuis la fin du siècle dernier, il a été restauré en 2016, déplacé de la Tour de Beurre à la Tour Saint-Romain et il compte désormais 64 cloches que j’ai vues à même le sol. L’une d’elles s’appelle Maurice Lenfant. Curieux car les cloches portent généralement des prénoms féminins.

Maurice Lenfant, j’ai eu le privilège de le côtoyer.
Né en 1902, Maurice Lenfant a été le premier carillonneur de la cathédrale. A partir de 1920. il a fait voler et résonner les cloches du carillon avec un arrêt pendant la seconde guerre. Il lui fallait monter un grand nombre de marches pour atteindre le clavier relié aux 55 cloches par des tiges métalliques.
Musicien surdoué, il est par ailleurs devenu titulaire d’un orgue à l’âge de 13 ans.
En 1926, il a fondé l’école de musique Charles Gounod à Rouen où il a exercé comme professeur.
Aujourd’hui, un passage porte son nom.

Comment j’ai fait sa connaissance ?

A 12 ans je me suis faite exclure des cours de piano du Conservatoire qui se situait à l’époque rue Faucon, à l’endroit devenu le musée de la céramique. Je ne m’entrainais pas une à deux heures par jour donc ne répondais pas aux critères de mon professeur habillé de noir qu’il fallait appeler Maître et qui me procurait des angoisses dès que je montais l’escalier de marbre à jolie rampe de fer forgé.

Ce fût mon premier échec. Lors de l’annonce, je revois au rez-de-chaussée, la dame en bleue charmante et gênée. Cependant, les clientes du magasin de maman étaient charmées par mes petits concerts.
Alors ma mère m’a inscrite au cours de Monsieur Lenfant qui enseignait le piano et l’harmonium à son domicile où deux jeunes attendaient leur cours. Je me revois montant les deux étages de l’immeuble donnant sur une cour, sis rue de l’Hôpital. L’angoisse qui m’étreignait depuis le onservatoire ne m’avait pas quittée, mais ce nouveau professeur était patient, affable et chaleureux. Son visage était doux et entouré d’une auréole blanche comme celle d’un ange. Sur son piano, à droite, il y avait la photo d’un garçonnet blondinet qui me rassurait. Au cours des trois ans passés chez lui, j’y allais tous les jeudis après-midi et j’ai repris confiance en moi. J’ai abandonné la méthode rose et avec les partitions Pianino, je me suis mise à jouer les valses de Strauss. Je me souviens aussi particulièrement de Pour Elise et du Joyeux Tambourin.

Quand j’ai eu 15 ans, ma mère estimant que je devais me consacrer à mon brevet a décidé de mettre fin à ces cours de piano. A cette époque je l’écoutais encore !
A 17 ans, une amie de la famille m’a invitée à utiliser son piano pour préparer un petit concert pour ses 50 ans. Ce fut court mais les invités furent contents.
Quant à mon piano de palissandre avec bougeoirs en cuivre qui avait pris l’humidité et aurait eu bien besoin d’une réparation importante, il finit tranquillement ses jours confiné dans l’entrée de mon frère et sert de meuble de décoration. Ainsi va la vie !

Françoise S. le 14 avril 2020