Koffi se reconnait dans les enfants ukrainiens qui sont envoyés sur les routes pour échapper aux bombes et se retrouvent séparés de leurs parents. Quand l’actualité du monde réveille la mémoire intime…

Par Koffi 

La guerre en Ukraine, que je suis chaque jour à la télévision, me touche infiniment. Les images des enfants qui prennent la route de l’exode et s’en vont loin la chaleur de leur famille et des ruines de leur pays, me ramènent aux traumas de ma propre enfance. 

Je me suis souvent demandé pourquoi j’étais venu peupler cette terre dans des circonstances aussi dramatiques. 

Je suis né dans une petite maison campagnarde sur la côte d’Albâtre. Une région qui, durant la seconde guerre mondiale, servait de base arrière à l’armée allemande. L’activité y était intense en raison du mur de l’Atlantique tout proche. 

Ma mère n’avait pas encore vingt ans, quand le village s’est fait occuper par les Allemands. Ceux-ci étaient partout : ils avaient réquisitionné l’école des filles qui servait de lieu de repos et de restauration aux soldats, tandis que le bureau de poste était devenu l’habitation des gradés. 

Mon grand-père était cordonnier et avait besoin de cuir pour travailler et nourrir sa femme et ses neuf enfants. S’est-il « arrangé» avec les Allemands pour pouvoir se déplacer vers ses fournisseurs et continuer à faire son travail ? Mes grands-parents ont-ils sympathisé avec quelques Allemands ? Je l’ai pensé quelquefois. 

Toujours est-il qu’au troisième trimestre de 1943, ma mère s’est trouvée enceinte d’un Allemand. 

Les mois ont passé, le ventre de ma mère a gonflé sans que personne s’en aperçoive. Une nuit, à minuit exactement, l’heure de ma naissance a sonné. Cela ne pouvait pas tomber plus mal. C’était le couvre-feu. La maison de mes grands-parents n’était pas équipée de volets, or, l’éclairage dans les maisons était interdit. Comment ont réagi mon grand-père, un homme autoritaire et ma grand-mère, qui tenait la maisonnée d’une main de maîtresse femme, à la découverte de cette naissance dans des circonstances pareilles et de cette nouvelle bouche à nourrir ? Cela n’a pas dû être commode pour ma mère. 

Cela n’a pas été facile pour moi non plus qui n’étais pas le bienvenu. Qui ai souffert par la suite de maladies graves (polio, maladie méningée, primo-infection…). Et qui n’ai jamais pu mettre un nom sur mon père biologique, mort quelques jours après ma conception. De quelle région d’Allemagne venait-il ? 

Tous les petits Ukrainiens que je découvre à la télévision, qui sont arrachés à leur enfance, à leur existence avec leurs parents et sont jeté sur les routes de l’exode, me bouleversent. Je devine les questions qui se bousculent dans leur tête : où m’emmène ce car ? Vers quelle destination ? Quand reverrais-je mes parents ? Me reconnaîtront-ils si la séparation devait durer longtemps ? Que deviendra notre maison ? Comment les retrouverai-je si notre maison explose ?  Comment saurai-je s’ils vont bien, s’ils déménagent ? 

Pourquoi la vie expose-t-elle parfois les enfants à un destin aussi difficile ? C’est tellement injuste ? 

Pour avoir vécu de moments dramatiques, je veux leur dire, à ces enfants, que du positif peut surgir même dans le malheur. En l’occurrence, ceux qui se retrouvent dans un pays d’accueil, vont apprendre une autre langue, découvrir d’autres mœurs, ce qui leur permettra de grandir intellectuellement. Et qui sait ? Peut-être qu’un jour, lorsqu’ils auront retrouvé leurs parents, ils seront fiers de leur faire visiter ce pays.  

Puissent ces enfants trouver aussi de l’affection auprès des personnes qui les accueilleront.