Dans son discours de politique générale, le nouveau Premier Ministre a annoncé de nouvelles mesures concernant les chômeurs, qui vont leur rendre la vie encore plus difficile. Mais il n’a pas prononcé le mot solidarité.

Par Martine Lelait

Le discours de politique générale prononcé le 30 janvier devant l’Assemblée Nationale par le nouveau Premier Ministre va à nouveau vers une stigmatisation des chômeurs. Il envisage une réduction de la durée d’indemnisation du chômage, déjà rabotée il y a quelques mois, histoire d’encourager la reprise d’une activité et même d’une activité « désmicardisée ». Que voulait-il dire par là ?

Deuxième étage de la fusée : il envisage aussi de supprimer, purement et simplement l’allocation de solidarité spécifique (ASS), qui existe depuis 40 ans et qui, sous certaines conditions, vient prendre le relais des allocations versées au titre du chômage après épuisement des droits. Ça n’est pas non plus la première fois que cette proposition est formulée ; aujourd’hui, elle est justifiée aux yeux du Premier Ministre par le fait que cette allocation (de l’ordre de 550 € par mois) permet de cotiser pour des trimestres de retraite, or, selon lui, la retraite ne devrait être que le fruit du travail. Important de savoir qu’aujourd’hui un futur retraité sur deux est déjà inactif au moment de liquider ses droits (cf. l’Obs du 18 janvier 2024).

La disparition de cette ASS ferait basculer les chômeurs en fin de droit directement dans le RSA. Ce qui viendrait paupériser particulièrement les chômeurs vivant en couple puisque l’obtention du RSA dépend des revenus du conjoint ; de plus, en terme d’image et d’estime de soi, ce n’est pas tout à fait la même chose d’être chômeur, demandeur d’emploi ou bénéficiaire du RSA. D’aucuns y verront une stigmatisation supplémentaire.

Cette mesure sonne comme une double peine pour un senior qui aura travaillé de nombreuses années avant d’être licencié et qui ne connaîtra, s’il ne retrouve pas d’emploi, que le RSA avant de pouvoir profiter – à 67 ans – d’une retraite incomplète par manque de trimestres.

Qui peut croire que l’on puisse vivre décemment avec une ASS à 550 € ou un RSA à 750 € ? Ces montants sont bien en deçà du seuil de pauvreté, évalué à 1158 €, soit 60% du revenu médian.

750 € par mois, cela signifie 25 € par jour pour se loger, se chauffer, se nourrir, se vêtir, se déplacer, faire des démarches de recherche d’emploi … Qui sait faire avec si peu ? Avec ces revenus-là, on ne vit pas, on survit. Une cadre de 53 ans licenciée après 14 ans à gérer la communication d’un établissement public s’exprimait ainsi dans l’hebdomadaire déjà cité : « Comme si on se complaisait à ne pas travailler ! La rue, je l’ai traversée cent fois, j’ai marché des kilomètres et je n’ai toujours rien trouvé. »

Voilà les annonces fortes du Premier Ministre, mais verront-elles le jour ?  Probable qu’une bronca monte du côté des Départements, gestionnaires du RSA. 320 000 bénéficiaires de l’ASS basculant dans le RSA viendraient créer une dépense supplémentaire insupportable pour ces Départements en charge du RSA, mais aussi des mineurs non accompagnés et de tout le volet solidarité de la petite enfance au grand âge.

Tiens, « solidarité », un mot que je ne crois pas avoir entendu dans le discours de politique générale. Ce n’est pourtant pas un gros mot !  C’est au contraire un beau mot qu’il ne faudrait pas oublier.

De par mon parcours professionnel passé, c’est loin d’être la première fois que j’entends les discours sur les chômeurs se durcir. Aujourd’hui quand des employeurs peinent à recruter, il est simple de dire que c’est bien-sûr la faute à ces fichus chômeurs qui se contentent de leur allocation pour glander ou mieux dit, pour revendiquer leur droit à la paresse ! Pour mémoire, il peut être bon de rappeler que lorsque le RMI a été créé en 1988, il constituait un double droit : droit à une allocation (à un revenu minimum vital), lié à un droit à l’insertion, c’est-à-dire droit à ce que la collectivité mette en place les dispositifs nécessaires pour permettre à tous les bénéficiaires de s’insérer socialement et professionnellement. Au fil des années, ce double droit a davantage dérivé vers un droit étroitement lié à des devoirs ; aujourd’hui, j’ai le sentiment que l’on parle de moins en moins de droit et plus en plus des devoirs, des obligations liées à la qualité de bénéficiaire du RSA ou de demandeur d’emploi. Jusqu’où ira ce tour de vis supplémentaire ?