Voici le 2ème épisode de notre série sur les souvenirs d’école… Après le récit de Marie, nous vous proposons celui de Martine. Cette série est ouverte à tous ceux qui voudront partager dans les pages des Curieux Aînés un souvenir ancien ou récent, un souvent d’enfant, un souvenir en tant que parent ou grand-parent.

Un qui a compté

Par Martine Lelait 

Contrairement à d’autres de ma génération, j’ai peu de souvenirs de l’école ; quelques mois à peine en maternelle, puis entrée en primaire à 6 ans, j’ai toujours été une petite fille appliquée, timide, sérieuse, qui ne faisait pas de vagues, alternant avec ma meilleure copine les places de 1ère et 2ème de la classe. Je n’ai même plus en tête le nom des institutrices que j’ai pu avoir, c’est dire si ces années ont peu compté pour moi.

Pas mieux concernant mes années collège où pour la première fois nous découvrions la mixité (ciel ! des garçons dans la classe !) Cela a renforcé, s’il en était besoin, ma réserve, ma timidité.

J’ai eu l’impression de commencer à vivre et à découvrir le monde à mon entrée au lycée et ce, grâce à une poignée de professeurs qui venaient de vivre, trois ou quatre ans plus tôt, mai 1968. Ils ont contribué à me “décoller la pulpe” du cerveau. Adieu le formatage scolaire. J’ai commencé à entrevoir que tout ce qu’on nous apprenait à l’école était une chose mais qu’il existait d’autres lectures possibles de l’histoire, de l’économie, de la géopolitique…

La rencontre la plus déterminante pour moi ? Celle de notre professeur de français et de latin qui, dès la classe de seconde, nous a fait toucher du doigt des matières ou des mouvements de pensée qui n’étaient pas forcément au programme : la psychanalyse, la sociologie, la linguistique…Un monde nouveau, complètement inconnu, s’est alors ouvert à moi ! Le domaine du savoir était si vaste que j’ai été prise d’une vraie boulimie d’apprendre et de lire sans limites.  

Ce professeur, qui m’a prise sous son aile, ambitionnait de faire de moi, fille d’ouvrier, une intellectuelle de haut niveau ou pour le moins une professeure de philo ou de français ! Le nombre de livres qu’il m’a prêtés ! On en aurait rempli des valises entières. Cela me plaisait grandement. Non seulement, mes parents n’auraient pas eu les moyens de m’offrir autant d’ouvrages, mais j’en éprouvais de la fierté. Je ne voulais surtout pas le décevoir.

Je peux l’avouer maintenant, il y a prescription, j’étais, qui plus est, follement amoureuse de ce professeur, au point que mon écriture manuscrite s’est mise à ressembler à la sienne ! Depuis, la mienne a changé, mais je reconnaîtrais encore la sienne entre mille. Après toutes ces années ! 

Pas de suspens, je ne suis pas devenue une intellectuelle de haut niveau, ni même prof. Aînée de trois enfants, mes parents n’envisageaient pas que je puisse faire khâgne (kesako ?) ni l’École Normale Supérieure. Paris n’était-il pas un lieu de perdition pour les jeunes filles ? C’est ce que pensaient les parents à mon époque. Je ne suis même pas allée en fac. Dès 18 ans, avec mon bac plus zéro (mais mention très bien) en poche, j’ai commencé à travailler mais je n’ai jamais arrêté de lire ni d’apprendre.Je persiste à penser que ces deux années sous la houlette de ce professeur de français et de latin ont été les plus déterminantes, les plus formatrices et les plus fondatrices de ce que je suis devenue et suis toujours aujourd’hui.