De correspondante espagnole choisie au hasard à l’âge de 15 ans, Maria est devenue la plus ancienne amie de Françoise. 60 ans que les deux femmes s’écrivent et partagent les moments importants de leur vie. Elles ne se sont rencontrées que trois fois mais leur amitié est solide. Une histoire inspirante. 

Par Françoise S. 

A la télévision, une publicité invitant à étudier les langues avec Babbel m’a amusée. On y voit un cycliste qui demande à l’autre de lui donner un poisson (dar un pescado) au lieu de lui proposer d’aller se promener dar un paseo parce qu’il ne maîtrise pas l’espagnol. Cela m’a fait repenser à mes années d’apprentissage de l’espagnol commencé au lycée, et poursuivi au collège technique, option secrétariat.

Je me revois, à 15 ans, dans la cour face à deux propositions de correspondante espagnole. Par hasard, j’ai choisi Maria qui était fille unique. Et par chance, nous avions beaucoup de points communs. La relation épistolaire a été facile à mettre en place.
Me souvenir de Maria m’a donné envie de déplier l’album-photos que j’ai constitué sur elle depuis notre rencontre jusqu’à la naissance de sa troisième petite-fille, Elena. Que de temps passé. Mais que d’émotion et quel bonheur !

J’ai aussi ouvert ma jolie boîte à souvenirs où j’ai conservé une pléthore de carte postales de timbres et ses lettres, rédigées en espagnol et très peu en français, toujours écrites au stylo bleu sur du papier blanc format A 4 plié en deux, avec une belle écriture déliée, la même depuis toutes ces années, comme si Maria n’avait pas vieilli. Sans faire usage du téléphone pendant des décennies, nous nous sommes raconté nos vies comme deux sœurs lointaines, nos bonheurs, nos malheurs, et nos deuils, nous nous sommes envoyé des photos de famille, avons échangé sur l’actualité de nos pays et du monde. Nous nous sommes même offert des cadeaux, à l’occasion d’une fête, un mariage, une naissance ou parfois sans raison. Quelquefois des douceurs régionales ou nos propres productions. L’un de ses tableaux représentant une maison catalane est toujours accroché sur le mur de ma salle à manger. Encore adolescentes, nous ajoutions un échantillon de tissu des vêtements que nous fabriquaient nos mamans, toutes deux couturières. Plus belles pour aller danser !
Je lisais ses lettres rapidement puis les relisais d’une manière détaillée. Pendant des années, j’ai écrit en espagnol. Je m’appliquais. Maria m’a dit quelquefois que je pourrais être professeur d’espagnol. Il y a eu des périodes creuses dans nos échanges épistolaires. D’ailleurs, Maria m’a, un jour, fait remarquer que nous devenions « mayores » et qu’il était temps de reprendre la correspondance.

Nous utilisons aussi l’ordinateur ou la tablette pour échanger des mails. Ces dernières années, Maria a repris des cours de français et m’écrit dans la langue de Molière. Désormais, c’est moi la moins courageuse : je n’écris plus en espagnol. 

La première fois que nous nous sommes rencontrées, c’était à Barcelone chez ses charmants parents. Nous avions une vingtaine d’années, j’étais accompagnée par ma mère et Maria fut ravie de me présenter son fiancé, Diego. Nous nous sommes revues après son mariage et la naissance de sa fille Estella dont j’ai fait connaissance. Maria et son mari m’avaient reçue dans leur appartement situé sur une belle avenue de Barcelone où elle habite toujours.

Alors que je préparais le cadeau de naissance de sa seconde fille Luna, j’ai appris que celle-ci était décédée à la suite d’une hémorragie cérébrale. J’en fus très triste.
Puis vint au monde Esteban, le garçon qui vint sécher ses larmes. 
Depuis deux ans, Maria est veuve et voyage avec ses enfants et petites-filles.

Avant la pandémie du Covid, Maria est venue me rendre visite avec deux de ses petites-filles. Oh que j’avais le trac ! Je la revois, émergeant de l’escalier de la gare. Nous nous sommes tout de suite reconnues. C’était comme si nous nous étions quittées la veille. Avec des rides, des cheveux blancs cachés sous les teintures et quelques douleurs en plus !

Après un repas normand, je les ai guidées quelques heures dans la belle et vieille ville de Rouen. Ce fût court mais intense. Elle a été heureuse de « mes petites attentions » : lui montrer la boite contenant ses lettres et cartes postales et son album photos.

Je me suis souvent dit qu’elle aurait pu être une bonne amie en présentiel : Maria et moi avons des affinités et nous nous adonnons à des activités seniors semblables pour garder le moral et la forme.
Nos petites-filles ont aussi des points communs, un certain sens artistique. Comme des cousines !

Son dernier cadeau est une représentation de La Sagrada Familia, la fameuse basilique de Gaudi à Barcelone. Cela me parait bien traduire ce que nous sommes : une famille sacrée.