Les citadins qui débarquent à la campagne manquent souvent de tact pour se faire adopter. Heureusement, Marie a une guide, sa voisine, qui lui explique les usages.

Par Marie H.

A la campagne, il y a ce que l’on peut dire et ce qu’il faut taire, ce qu’il faut faire et ce qu’il vaut mieux éviter. C’est ce que tente de m’enseigner ma voisine préférée, Mariette, quatre-vingt-dix ans et toujours bon pied, bon œil.

« La semaine dernière, un « Parisien » a encore déplacé la borne du champ des S. Les bornes ont été installées, il y a de cela des siècles, pour délimiter la propriété de chacun. Le Maire le signale à chaque nouvel arrivant. Ce Parisien, c’est le même malappris qui a refusé le passage au fils B. qui rentrait le tracteur de son père, l’autre soir, chez lui, à la ferme du Val Petit ». (Je précise que le « Parisien » prolifère dans nos campagnes depuis le confinement de 2020 et finira par être considéré comme un fléau, s’il s’entête à se croire partout chez lui). 

Cette histoire de Parisien malotru a lancé Mariette : elle a un don incontestable de conteuse et de redresseuse de torts, ma Schéhérazade du bocage. Je l’écoute, en savourant un verre de sa meilleure eau de vie de prune. Un cheval passe devant la barrière. Nous reconnaissons la fille du notaire du bourg voisin. Mariette se scandalise. « Celle-là, elle ne salue jamais personne. Elle avance raide comme un « quin de plomb » (un chien de plomb). Ferait bien de se méfier, sa jument a de la malice dans l’œil ; un de ces matins, je la retrouverai dans le jardin, cul par-dessus tête et là, elle sera bien obligée de me donner le bonjour ». 

Cette perspective la met en joie et elle éclate d’un rire communicatif. Notre dialogue continue et voilà Mariette qui se met à m’expliquer les us et coutumes ruraux. 

– « Eh Marie ! J’ai appris que tu étais invitée à la fête d’automne, qui se tiendra cette année à la ferme des Aubépins. Pense à préparer un bon plat et essaie de ne pas t’endormir à table, même si le repas se prolonge jusqu’à minuit. N’oublie pas que tu es reçue chez des gens, qui, depuis des lustres, nourrissent les populations des villes et ne reçoivent, souvent en retour, que du mépris et des moqueries. Ménage les susceptibilités, demande des nouvelles des familles. Parle du temps : la météo intéresse toujours à la campagne où les récoltes dépendent du soleil et de la pluie. Évite les sujets épineux, genre politique agricole européenne. Amuse-toi sans arrière-pensée, reprends les refrains au dessert et propose ton aide pour débarrasser la table. Félicite la maîtresse de maison et remercie-la de son invitation. Mais… je parle trop, je sais que tu feras pour le mieux. En te voyant, là, assise à ma table, je me dis que tu pourrais être ma fille, ou presque. Accepteras-tu de rester déjeuner avec moi ? Je vais réchauffer mon civet de lièvre. J’ai invité le Joseph du Bois Banni mais quand il y en a pour deux, il y en a pour trois.

– « Volontiers, Mariette, mais il y en moins dans ta casserole que ce que tu dis ». Ma remarque la faire sourire. « Merci pour tes leçons, Mariette, et un grand merci pour ton invitation. C’est un plaisir de goûter à ta bonne cuisine des familles. Je vais mettre la table. Grâce à toi, je vais enfin savoir ce qu’est un civet de lièvre à la royale.

– « Bien heureuse de t’instruire, ma citadine préférée ».