Souvenez-vous : les années 70, les révoltes étudiantes enflamment les campus américains, la guerre du Vietnam pointe son mufle sanglant… Marie nous replonge dans cette époque où être adolescent prenait un autre sens.

Par Marie H.

A la fin des années 1950, les adolescents étaient un nouveau marché à conquérir. Le concept d’adolescent vient de la publicité ; cela a coïncidé avec le désir des jeunes ; ils ne voulaient pas ressembler à leurs parents, ni aimer ce qu’ils aimaient. Des émissions de radio leur faisaient découvrir des chanteurs de leur âge et des musiques nouvelles. Des journaux spécialisés leur furent réservés.

A la faveur de cette tendance deux groupes musicaux sont apparus : les Beatles et les Rolling Stones, tous deux sortis de la classe ouvrière anglaise et de la petite bourgeoisie de la banlieue industrielle de Londres. Les deux groupes leaders ont coexisté en bonne intelligence, leur public était souvent le même, au moins à leurs débuts.

Les Rolling Stones sont tout, sauf de gentils garçons tranquilles, leur dégaine invraisemblable, la sauvagerie de leurs shows (spectacles) contribuent à leur réputation de mauvais garçons (bad boys). Les familles de leurs « fans » les considèrent avec inquiétude. Changer le monde ne les intéresse pas, les choses bougent, ce qu’ils veulent c’est donner un coup de pied dans la fourmilière de l’establishment. A leurs débuts, invités comme musiciens dans la gentry, cantonnés derrière le buffet avec les domestiques, ils occasionnent un incident scandaleux : un Lord Machin-Chose interroge le pianiste du groupe avec condescendance : « dites-moi mon petit bonhomme, connaissez-vous assez de notes pour interpréter une valse sur le piano ? » Un direct du gauche cueille le lord et l’envoie s’étaler sur un plat de fraises à la crème. Cette prestation leur confère une aura déplorable pour certains spécimens des publics « schools », tellement à l’aise dans leurs costumes Savile Road et leurs cravates club.

Ils quittent, pleins d’espoir, l’Angleterre pour l’Amérique. Leur tournée U.S. ne leur apporte pas le succès escompté. L’Amérique puritaine les méprise. Les musiciens blancs impeccables toisent ces saltimbanques. Les Stones les ignorent et préfèrent rencontrer les musiciens noirs dans les clubs de Harlem. Les musiciens noirs s’intéressent à leur musique, un échange fructueux s’établit. Le blues, le jazz ont toujours passionné les Stones. A l’époque une barrière étanche sépare les musiciens noirs des musiciens blancs, les Stones s’en moquent ; la musique noire les inspire et les transporte. Des amitiés commencent qui perdureront au-delà des années.

De retour à Londres, leur tournée américaine leur donne un nouveau lustre. Les concerts s’enchaînent. Arrive le fameux « Satisfaction », le morceau qui les fait accéder à la gloire : paroles Mick Jagger, musique Keith Richards, duo gagnant. Les meilleurs interprètes de la soul ont repris le morceau d’anthologie : Otis Redding, Aretha Franklin entre autres. Les tournées européennes et américaines se succèdent, les scandales aussi. Qu’importe, le public les soutient et leur fait un triomphe.

Un parcours fabuleux jusque dans les années 1980-1985. Jusqu’à ce que Sir Mick, avatar de Mick Jagger, prenne la grosse tête et décide de se produire et de chanter seul. Le groupe se disloque. Il y aura des retrouvailles. Une tournée américaine débute ce mois-ci, hélas sans le batteur d’exception, Charles Watts, décédé il y a peu de jours. Charlie et sa nonchalance, son élégance souriante, Charlie toujours impeccable dans des prestations de haut vol.

Les Rolling Stones ont été des contemporains précieux, semant désaccords qui résonneront encore longtemps dans nos cœurs et dans nos têtes. Souvenez-vous : les années 70, les révoltes étudiantes enflamment les campus américains, la guerre du Vietnam pointe son mufle sanglant, les jeunes conscrits écoutent les Stones dans le delta du Mékong, une belle consécration.

Comment oublier les riffs endiablés de Keith Richards et le talent de tous les musiciens noirs et jamaïcains qui vous ont rejoints tant de fois sur scène ? Nous avons dansé sur vos accords. Certains concerts se prolongeaient jusqu’au petit matin. Vous étiez des contemporains précieux, votre fougue nous accompagnait. 

Grâce à vous, le monde était soudain plus vaste. Vous êtes notre jeunesse et nous ne vous oublierons pas.