Aujourd’hui, Les Curieux Ainés vous proposent de partager le voyage (aller et retour) en Covidie avec Denise. 

Par Martine Lelait.

L’année 2020 aura été une année exceptionnelle à bien des titres, riche de découvertes… dont parfois nous aurions pu nous passer. Ainsi, pour prolonger les petites vacances qu’elle avait réussi à prendre en été puisque le confinement avait été levé, Denise s’est payé à l’automne un voyage en Covidie. Cette expédition s’est révélée fort éreintante, mais elle en est rentrée plus forte de cette expérience qu’elle a accepté de nous faire partager.

ML : Alors Denise, comment ça vous a pris ? Y étiez-vous préparée ?

Denise : En fait, comme pour tout le monde, la COVID faisait partie de mon quotidien mais elle m’a atteinte par surprise, subrepticement.  Je ne m’y attendais pas du tout. Je ne sais pas comment et/ou par qui j’ai pu être contaminée, et ce, d’autant que je prenais depuis des mois un maximum de précautions.

De plus, dès le départ j’ai été induite en erreur. Le médecin que j’ai consulté lorsque j’ai eu mal à la gorge, a diagnostiqué une simple trachéite. Il ne semble pas avoir suspecté le virus et surtout il ne m’a jamais demandé de m’isoler. De ce fait, j’ai continué pendant une semaine, tout en me soignant, de côtoyer du monde, de participer à des réunions et même de manger avec une copine enceinte et ce, en toute bonne foi…

ML : Quand avez-vous su que vous aviez attrapé la Covid ?

Denise : Quand j’ai vu que malgré les médicaments, je n’allais pas mieux, j’ai fait avancer la date du test Covid que je ne devais faire que plus tard. Et là, dès le lendemain, j’ai été avisée par mail du laboratoire que j’étais testée positive.

ML : Qu’est-ce que cela a déclenché ? 

Denise : A partir de ce moment, toute la mécanique s’est mise en route. Mon médecin m’a demandé de me confiner de 7 à 14 jours. J’ai prévenu personnellement par téléphone les 6 personnes avec lesquelles j’avais eu un contact rapproché. L’ARS m’a appelée pour connaître mes conditions de vie, est-ce que je vivais seule ou y avait-il un risque que je contamine d’autres personnes de mon foyer ? Est-ce que j’avais besoin d’aide ? Puis ce fut l’assurance maladie qui m’a appelée pour récupérer les noms et numéros de téléphone des personnes avec lesquelles j’avais été en contact. Finalement sur les 6 personnes que j’avais pressenties, seules 3 étaient considérées comme véritablement personnes-contact et aucune n’a été contaminée. La réactivité de ces institutions et la disponibilité du médecin ont été des facteurs rassurants sur le versant technique de la maladie. Aucun traitement n’était à envisager sauf à faire baisser la température.

ML : Quels symptômes avez-vous développés particulièrement ?

Denise : Je n’ai pour ma part perdu ni le goût, ni l’odorat. En revanche j’ai perdu tout le reste : toute mon énergie, mes facultés de concentration, la possibilité de lire, les mots même pour parler, l’appétit, le souffle, et aussi la notion du temps. Je ne faisais plus que dormir, envahie par la fièvre, le mal à la tête, mal au ventre et une belle toux qui envahissait tout l’espace. Début octobre,  dans un moment  de clairvoyance j’ai mis un message sur un réseau socialpour informer que moi qui, dans une grande naïveté ou inconscience, me croyais intouchable, eh bien oui j’étais atteinte. J’ai reçu en retour une trentaine de messages de soutien sincère de personnes qui habituellement n’utilisent pas ce réseau pour communiquer. Cela a été une éclaircie dans l’engrenage pervers qui m’avait saisie.

ML Comment avez-vous vécu cette période de confinement ?

Denise : J’avais le sentiment de m’épuiser, de me consumer, de vivre dans un long tunnel tout noir, dont je ne voyais pas le bout. Il me fallait attendre, attendre, toujours  attendre. Je n’avais plus d’envie, ni de goût à rien. Je me noyais sans reprendre ma respiration, le souffle coupé dans ce tunnel qui m’aspirait toujours plus loin. De temps en temps, des petites lumières dans ce tunnel, des mains amies qui me déposaient de la soupe, de quoi manger un peu sur le rebord de ma fenêtre, des appels téléphoniques d’amis y compris d’Allemagne et d’Autriche, avant de sombrer à nouveau dans ce tunnel. Ça a duré ainsi près de trois semaines interminables.

ML : Comment s’est passée votre phase de récupération ?

Denise : A plusieurs reprises, j’ai cru sentir un léger mieux. La première fois, prise d’une once de courage, j’ai « toupiné » un quart d’heure dans mon jardin, ça m’a épuisée et je ne me suis plus relevée pendant deux ou trois jours. La même chose lorsque j’ai cru pouvoir me lancer à faire le tour du pâté de maison, j’avais, là encore, surestimé mes forces ou sous-estimé le poids du virus. A nouveau  pour deux ou trois jours sans émerger de sous ma couverture. Ce fût exactement la même chose quand j’ai voulu faire le tour du Jardin des Plantes avec une amie. Ces rechutes furent décourageantes, frustrantes, démoralisantes.

ML : Vous vous êtes considérée comme sortie d’affaire à partir de quand ?

Denise : Début novembre, la bonne nouvelle était que le test Covid que je venais de repasser était négatif. Mais je n’ai réellement commencé à aller mieux que mi-décembre. C’est dire que cela aura duré quasiment deux mois et demi et croyez-moi c’est très long et fastidieux.

ML : Quels souvenirs forts, quels enseignements, garderez-vous de cette période ?

Denise : J’ai appris qu’il faut beaucoup de patience. Après cette épreuve, je trouve tout de même quelques points de satisfaction. Je n’ai contribué à contaminer personne. La Covid n’a pas eu d’incidence particulière sur la pathologie pour laquelle je suis soignée depuis des années et un aspect non négligeable, je n’ai pas eu besoin d’aller en réanimation ni même d’être hospitalisée et rétroactivement je considère que c’est une vraie chance. Et puis, étant maintenant immunisée, même si je ne sais pas pour combien de temps, je suis redevenue une personne « fréquentable » !!

ML : Une dernière question, quels conseils pourriez vous donner aux personnes susceptibles d’être touchées par le virus ?

Denise : Avant d’être dans le conseil, je voudrais faire deux remarques. Premièrement, j’ai beaucoup apprécié que cette interview me permette de témoigner de cette « aventure » ; être l’objet d’une telle empathie s’avère extrêmement valorisant en ces temps de grande solitude. Deuxièmement, même si la métaphore du voyage est amusante, pour moi un voyage reste source de joie, d’évasion, de découverte. Je considère au contraire la rencontre que j’ai eue avec la Covid comme une relation perverse, inextricable tant que l’on n’en est pas sorti et même douloureuse physiquement et moralement.

Un conseil à donner ? Suite à cette contamination, je me suis exaspérée quelque temps contre le déni, voire le complotisme, contre les comportements à risque, contre ceux/celles qui s’insurgent face à des mesures à leurs yeux liberticides. Je me suis calmée depuis. Si mon expérience peut servir à certains, j’en serais ravie. Le seul conseil, que je puisse donner est de ne pas considérer votre voisin ou votre voisine comme votre ennemi potentiel mais comme une personne à respecter, comme vous souhaiteriez être respecté(e) vous-même et donc d’y faire attention et particulièrement, tout spécialement dans le cadre de la Covid. Portez-vous bien !