Au détour d’un article sur l’enseignement des langues régionales, Martine se souvient que ses grands-parents maîtrisaient deux langues vivantes : le français et le patois cauchois. Une richesse familiale qui n’a pas été transmise.
par Martine Lelait
Un article paru dans l’Obs (n°2962 du 29 juillet au 4 août 2021) à la rubrique « dissensus » a appelé tout particulièrement mon attention. Il s’agissait de discuter de l’intérêt ou non de modifier la constitution pour permettre l’enseignement des langues régionales en immersion.
Le débat a été relancé après l’adoption le 21 mai 2021 de la loi relative à la protection du patrimoine des langues régionales et à leur promotion (sur la proposition de loi du député Paul MOLAC) et dont le Conseil Constitutionnel a rejeté certaines dispositions.
La constitution exprime en effet en son article 2 que « la langue de la République est le français » ; les langues régionales sont reconnues « trésor national » à préserver, protéger, promouvoir mais leur enseignement relève des matières facultatives qui peuvent être choisies comme 2ème ou 3ème langue à l’école. Cela demeure insuffisant pour ceux qui défendent l’enseignement bilingue en complète immersion, c’est-à-dire un enseignement dispensé dans la langue régionale choisie et pas uniquement en français.
Je ne me sens pas du tout compétente pour entrer dans ce débat (il y va aussi, si j’ai bien compris, des financements publics qui devraient être alloués aux écoles associatives sous contrat) mais cet article m’a ouvert bien des horizons.
En essayant de comprendre la question, j’ai découvert, effarée, qu’il existait une vingtaine de langues régionales en Métropole et plus de cinquante dans les Outre-Mer. Je voyais bien le breton avec les écoles Diwan, le corse, l’occitan, le basque… mais au-delà, j’étais plutôt sèche sur l’énumération, quand soudain, je me suis rappelée que mes grands-parents à Yerville parlaient couramment … le patois cauchois !
Du coup, ce que je prenais pour un idiome, un patois, avec la connotation un peu péjorative que cela comporte, a pris de la valeur à mes yeux : mes grands-parents, qui n’étaient que très peu allés à l’école car devant comme leurs nombreux frères et sœurs travailler dès 12 ans, parlaient effectivement une langue régionale en plus du français obligatoire !
Dans ma famille, on évoque encore régulièrement, (mais moins avec les jeunes qu’avec les vieux), les expressions qui étaient utilisées par mes grands-parents : tiens, Mémé aurait dit : « y nos détraquent eu’l temps aveuc leuz invenchions » [1] et Pépé lui aurait répondu : « M’éluge pin asteu ; tu vas co t’égosiller ; t’occupe pin eud capet d’la gamine et va donner à mâquer au câ ! »[2].
Cela dit, même si d’aucuns peuvent regretter que, dans quelques années, personne ne parlera plus et ne comprendra plus le cauchois – par manque de locuteurs, comme disent les spécialistes – je ne vois pas bien inscrire cette matière au programme des écoles ; ce serait somme toute assez circonscrit au seul Pays de Caux…
Pour ceux qui voudraient se plonger ou se replonger dans le patois cauchois, je recommande vivement la lecture des « Histouères de Thanase Pèqueu », personnage inventé par Gabriel Benoist, natif du Pays de Bray mais venu en Pays de Caux, après son brevet élémentaire obtenu en cours du soir, pour entrer à l’étude de Me Leroux huissier à Yerville ; il continuera sa carrière comme correspondant du journal l’Abeille Cauchoise à Yvetot puis des Quatre Cantons puis enfin au Journal de Rouen.
[1] Ils nous détraquent le temps avec leurs inventions
[2] Ne m’énerve pas à cette heure ; tu vas encore t’égosiller ; t’occupe pas du chapeau de la gamine et va donner à manger au chat !