Les algues brunes qui piègent les poissons, abîment les moteurs des bateaux et rendent les plages irrespirables ont envahi la côte Caraïbe. Ce qui navre Andrée qui revient tout juste de ses quartiers d’hiver passés en Martinique. Pourquoi toutes ces algues ? Et comment vivre avec ? Elle a mené l’enquête.
Par Andrée Medec
Les sargasses ont toujours existé. En quantité limitée, elles peuvent servir de nurserie et d’abri à des poissons, des oiseaux, des crabes… et sont très utiles aux pêcheurs. Elles contribuent également à l’équilibre des écosystèmes côtiers (la mangrove) en y apportant des nutriments vitaux et en limitant l’érosion côtière.
Il existe différentes variétés de sargasses : celles nécessitant une fixation dans des eaux de faible profondeur, d’autres, celles qui nous intéressent, les « sargassum fluctuans » qui peuvent croître et se diviser au large. Elles sont capables de survivre sur de grandes distances avant de finir leur voyage et se décomposer sur les côtes. C’est cette variété qui atterrit dans la zone Amérique, sur les rivages des îles des Antilles, du sud du Mexique, et encore sur le littoral de la Floride…
D’où viennent les sargasses ? Depuis leur apparition massive il y a une dizaine d’années, plusieurs hypothèses ont été formulées. Elles seraient originaires de la mer des Sargasses, située en Atlantique Nord, du Golfe du Mexique, voire du nord de l’embouchure de l’Amazone, au large du Brésil d’où leur échouage sur nos rives. Quelle que soit la provenance des algues, le point commun est leur migration massive qui s’expliquerait par la destruction de la mangrove d’Amérique Latine. Jusqu’à présent, celle-ci retenait les nutriments boostant la croissance des sargasses. Avec la destruction de la mangrove (pollution, produits chimiques…), rien ne retient plus les nutriments et les sargasses se développent massivement.
De plus, la hausse de la température de l’eau, la présence d’engrais dans les océans, l’intensification des nuages de poussière en provenance du Sahara stimulent la croissance des algues. En Martinique, il y a régulièrement des alertes de brumes de sable.
Les dégâts provoqués par cet afflux de sargasses sont considérables d’un point de vue environnemental, économique et sanitaire.
Côté environnement : le volume des sargasses a triplé depuis une dizaine d’années et forment à certains endroits des tapis pouvant atteindre jusqu’à un mètre de profondeur. S’ils servaient jadis de nurserie, ils piègent désormais tant les poissons que les tortues et asphyxient le corail.
Côté économique, les pêcheurs payent un lourd tribut à cette invasion. Difficile – voire impossible – pour eux d’accéder à leurs yoles ; les moteurs de leur bateau se retrouvent noyés par les sargasses et sont donc régulièrement à remplacer. Leurs filets s’emmêlent dans les algues. Et qui dit moins de poissons, dit moins d’argent. Leurs revenus s’en ressentent et les conditions d’existence de la profession sont entièrement modifiées.
Côté touristique, les communes situées en bord de mer, proposant hébergements et restaurants « les pieds dans l’eau » sont également victimes de cette invasion. Ce qui, après la pandémie du Covid, est une nouvelle épreuve. Qui a envie de marcher sur un tapis mouvant, grouillant de vies, pour atteindre une mer, aussi turquoise soit-elle ? Ou de s’allonger pour siroter un « long drink », sur une plage de sable blanc et fin certes, mais à proximité d’une montagne d’algues sèches et nauséabondes ?
Sur le plan sanitaire, les effets de ces algues sur les populations vivant à proximité ne sont pas à prendre à la légère. Lorsque les sargasses pourrissent, elles émettent de l’hydrogène sulfuré, un gaz toxique dégageant une odeur flirtant entre l’œuf pourri et l’ammoniaque. Ce gaz est à l’origine de maux de tête, de nausées et de problèmes respiratoires (notamment chez les femmes enceintes). Il est recommandé aux personnes « sensibles » (enfants, personnes âgées, asthmatiques), d’éviter les zones à sargasses en décomposition. Mais, où aller, où se replier lorsqu’on vit à proximité ? Il n’y a rien de prévu pour accueillir ces populations en difficulté ! Et bivouaquer dans la famille n’est pas une solution durable.
En 2015, un plan d’action pour lutter contre les sargasses a bien été mis en place par la Ministre de l’Écologie de l’époque, sans beaucoup d’effets. D’autres plans ont suivi, se traduisant par la pose de barrages flottants pour empêcher les algues d’atteindre les côtes, collecte ou déviations d’algues…Rien n’y fait : les algues reviennent régulièrement plus massives à chaque fois.
Cette année, la côte atlantique n’a pas été la seule à être envahie. La côte caribéenne aussi, Quand je suis en Martinique, j’habite face à la mer, à Case-Pilote, une commune dans l’ouest de l’île. Baignée par la mer des Caraïbes, cette côte est normalement peu exposée aux sargasses. Or, en février, j’en ai aperçu de larges bancs, dérivant sur la mer.
Pour « Sargassum Fluctuans », la boucle est bouclée. Et pour la population, l’avenir n’est guère réjouissant !
Un article que j’ai lu récemment m’a donné à réfléchir.
Il raconte qu’un couple de Français, doté d’une expérience de la mer certaine, est arrivé au Mexique en 2015 et a découvert ses côtes défigurées par les algues brunes. En lien avec les locaux, des petites barrières pour retenir les sargasses furent d’abord mise en place, mais devant leur peu d’efficacité, le mari eut l’idée d’un bateau pour endiguer ce fléau. Il proposa son projet aux autorités locales mexicaines puis il conçut son bateau sur une base de catamaran équipé d’un tapis roulant, qui récupère les algues pour les déposer dans une remorque située à l’arrière, sans altérer les plages.
Le « Sargaboat » était né.
Les autorités locales mexicaines, qui se sont montrées clairvoyantes, se réjouissent de cette collaboration car les résultats sont là : un hôtelier qui employait 160 personnes pour déblayer sa plage tous les matins n’a désormais besoin que de 6 personnes avec le Sargaboat.
Mais on la tient la solution, me dis-je ! Bizarre que depuis 2015, l’information ne soit pas arrivée jusque chez nous…
J’ai fait quelques recherches et j’ai appris que, tant en Martinique qu’en Guadeloupe, des chefs d’entreprises, prêts à collaborer avec Ocean Cleaner (exploitant de Sargaboat) ont attiré l’attention des autorités sur cette option, sans effet. La filière pêche est aussi montée au créneau : sans plus de succès.
Aucune réaction positive des préfets.
Et on continue à investir inutilement dans projets qui ne donnent pas de résultats viables, alors qu’une solution existe non loin : elle a fait ses preuves et de plus est dotée d’un brevet français !
Pendant ce temps, les algues continuent à s’amonceler sur les rivages, à polluer, à détruire…