Ninja a été une petite fille pauvre. Aussi, lorsqu’elle entend que l’inflation et le nombre de familles aux fins de mois difficiles augmentent, elle s’inquiète et se souvient de ce que la pauvreté signifie pour un enfant. 

Par Ninja

Les jours passent, les années s’écoulent, les informations pleuvent ; et voilà : la pauvreté grandit ! Le succès des vide-greniers et des « foires à tout » en témoigne.  Je sens ce nouveau souffle de la déconsommation et des fins de mois difficiles. 

Et depuis quelque temps, cette réalité fait écho en moi et me ramène à mon enfance : j’ai été une petite fille pauvre. 

Je me revois à l’âge de 6 ans. Nous habitons un bourg de campagne, famille de 6 enfants, avec des parents « prisonniers du boulot », comme le chantait Henri Salvador. Il fallait faire bouillir la marmite.

La vie était dure ! C’était le sort de la plupart des habitants, sauf quelques privilégiés, des gros propriétaires de fermes et marchands de vaches, qui dominaient.

Aussi, nous vivions dans une vieille maison, sans eau courante ; et ma mère charriait des sceaux d’eau, plein d’ennui ! Quelle joie, le jour où l’eau s’est mise à couler du robinet !

Je revois ma mère à l’arrivée de l’hiver, s’installant sur un tabouret et découpant des morceaux de pneu, pour les clouer sur nos sabots afin de les protéger de l’usure ! 

Je revois tous les enfants dormant dans la même chambre. Moi, la seule fille, dans le même lit que mon petit frère, sans doudou !

A 6 ans, j’étais habillée dans les affaires de ma marraine, de 8 ans mon aînée et habitant Paris. Pour moi, c’était magique. C’était du soleil dans la maison, dans cet univers gris. Ma marraine c’était comme ma reine.

Le seul chauffage était celui de la cuisinière à bois et à charbon. On laissait les portes ouvertes pour chauffer toute la maison. Quand les hivers étaient trop rigoureux, on mettait dans le lit des briques recouvertes de papier journal ou un pochon confectionné par ma mère. Avec bien sûr, le fameux édredon. 

A l’école, j’admirais Martine, la fille du docteur qui portait de jolis habits, mais je n’étais pas jalouse. Je me disais : « Plus tard, moi aussi, j’aurai de « belles toilettes », si je travaille bien. »

Tous ces rêves m’ont hantée. J’ai réussi à gagner ma vie, à devenir une femme indépendante. J’ai fait la fierté de mes parents, qui eux ont tant trimés.

Mais voilà qu’en 2023, l’inquiétude et l’angoisse me tenaillent à nouveau : tous ces nouveaux pauvres, tous ces gens à la rue, tous ces enfants en souffrance, qui arrivent à l’école le ventre vide, tous ces déracinés !… Quel va être leur avenir ? 

Nous revoilà, pour certains, à l’époque de Zola. Je croyais qu’avec le progrès, les prises de conscience, on allait améliorer le sort des gens ! Hélas ! je ne rêve plus. Ça me rend malade. 

Où va-t-on ? Que n’avons-nous pas fait pour en arriver là ? 

Quand je suis dans mon lit, le soir, je repense à la chanson de Félix Leclerc, l’auteur canadien : « Quand les hommes vivront d’amour, il n’y aura plus de misère…, mais nous, nous serons morts, mon frère. » Et aussi à Jean Ferrat, cet humaniste qui chantait : « Le poète a toujours raison, qui voit plus loin que l’horizon !… »

Alors, quand mon ciel est trop lourd, je rentre dans ma bulle de poésie et, parfois, je prie.