L’histoire transmise au détour d’une partie de jeu de l’Oie et de Mikado. C’est le moment délicieux partagé par Marie avec un petit garçon aux boucles noires. 

Par Marie H. 

Un certain mercredi, où, en veine de liberté, j’accepte de garder le petit-fils d’une amie, je me retrouve en début d’après-midi face à une merveille de petit garçon : frimousse d’ange, boucles noires et yeux bleus. 
– J’ai six ans et je m’appelle Antoine. 
– Moi, c’est Marie, je suis une amie de ta grand-mère. 
– Je sais. Est-ce que je peux dessiner ? 
Je l’installe à mon bureau avec des feuilles blanches et des crayons de couleur.
Une heure après, il me montre ses dessins : il a pris le chat Toutroux pour modèle. Je le complimente. Comme je lui fais remarquer qu’il a oublié les moustaches, il s’écrie : « C’est stupide, je vais corriger cela, tout de suite « ! Et le voilà qui s’empare d’un des dessins où le chat figure roulé en boule et lui ajoute une splendide paire de moustaches 
Pendant ce temps, je sors la boîte des jeux et je propose une partie de jeu de l’oie. Il éclate de rire et me lance un regard apitoyé : « Ton jeu, c’est un vieux machin. Ma mamie a le même, pour lui faire plaisir j’accepte de jouer avec elle ».
En disant cela, il me toise avec condescendance. « Si tu le veux bien, je préfèrerais te poser une question : « Es-tu assez vieille pour avoir connu Attila ? Je veux dire, en as-tu entendu parler » ?  
Je réponds que, certes, très âgée, je ne le suis pas assez pour avoir rencontré ce conquérant sanguinaire : « Mais je vais te dire ce que je sais de lui ». Et je me lance façon « il était une fois » ! : « Attila, c’était le roi des Huns, une peuplade originaire d’Asie Centrale. Les chroniqueurs prétendaient que là où il passait, l’herbe ne repoussait pas. Accompagné de ses guerriers montés sur des petits chevaux à longs poils, ils traversaient les steppes sans s’arrêter, même pour se nourrir, car ils dégustaient à cheval la viande crue qu’ils avaient glissée sous la selle de leur monture ».
– « Mon frère François m’a affirmé qu’ils tuaient tout le temps, tout le monde » m’interrompt Antoine.  
– « Ce n’étaient pas des tendres ni des gentils, c’est vrai ; ils semaient la terreur, ravageant les villes et les campagnes. La légende veut qu’ils épargnaient les poètes et les artisans. Il parait que les Huns ont galopé jusqu’à Paris, qui se nommait Lutèce, en ce temps-là. La chronique prétend qu’une sainte femme, du nom de Geneviève, s’est dressée face à eux et qu’ils sont repartis sans franchir la Seine ». 
– « Elle était forte, ta Geneviève, même pas peur ! Quand même, je voudrais savoir si ces terribles terreurs tuaient les instituteurs ».
Je réprime un sourire et déclare qu’Attila et ses sbires ne faisaient pas périr les enseignants. Qu’au contraire, ils les vénéraient. 
Antoine pousse un gros soupir qui me semble un peu suspect. Je me demande s’il aime autant l’école que le prétend sa grand-mère ! Après un goûter substantiel, nous extirpons de la boîte le jeu Mikado. Antoine n’est soudain plus qu’un petit garçon qui rit quand il gagne et s’impatiente quand il perd.