Depuis le 1er janvier 2023, un service dématérialisé a remplacé le timbre rouge pour les courriers urgents à la Poste. Officiellement pour le bien de l’environnement. Et si la raison était autre ? 

Par Andrée Médec 

Parmi les grands changements liés à la nouvelle année, l’un a tout particulièrement retenu mon attention : la disparition du timbre rouge pour les courriers urgents avec distribution à J+1, au coût de 1,43 €. A sa place désormais, la e-lettre urgente. 

Certains esprits moqueurs y voient le retour du fax, d’autres un mail payant…

L’objectif affiché par La Poste paraît louable : réduire les émissions de CO2 en économisant des trajets en camion et en avion pour distribuer les courriers urgents. 

Mais comment l’usager pourra-t-il profiter de ce nouveau service dématérialisé, dit plus écologique ? De deux manières. 

Sans se déplacer : Il suffira de se connecter au site de la Poste, de se rendre à la rubrique « Envoyer un courrier en ligne » et de faire le choix entre deux options. Soit importer son document après l’avoir numérisé en format PDF. Soit rédiger sa lettre directement sur le site en utilisant éventuellement l’un des 200 modèles de lettres proposés.

Dans les deux cas, le courrier sera ensuite envoyé sur le site de La Poste qui prendra en charge sa mise sous pli et son expédition.  

En se rendant au bureau de Poste : Un(e) chargé(e) de clientèle scannera le contenu de la lettre et se chargera de son envoi. Adieu l’envoi de chèques, et par souci de discrétion, de documents administratifs confidentiels ou encore de billets doux ! 

Connaissant le sous-équipement des bureaux de Poste ici en Martinique, j’ai voulu savoir si cette innovation s’y appliquerait également. La réponse quelque peu expéditive et un peu floue a été positive : « ben oui ». Cela m’a laissé songeuse… 

La réalité est qu’ici la fracture numérique est un euphémisme, tant le retard est grand : les familles possédant leur propre équipement informatique sont encore rares, quant à la fibre, elle est loin d’avoir maillé tout le territoire martiniquais.  

A cela s’ajoute que la Martinique est l’un des départements de France comptant le plus de vieux. Or, selon une enquête de l’Autorité de régulation des communications électroniques des postes et de la distribution de la presse (Arcep) de 2021, ils feraient partie des 35 % des citoyens français qui reconnaissent « manquer ou ne pas posséder les connaissances de base leur permettant d’utiliser pleinement les outils numérique ».

La Poste a beau se vouloir rassurante et expliquer qu’elle a prévu un dispositif pour venir en aide aux personnes manquant d’équipement ou mal à l’aise avec l’informatique, on ne peut qu’être sceptique sur l’aide qu’elle sera en mesure d’apporter aux seniors déconnectés. Et pour cause. Dans la commune où j’habite, Case Pilote, un village de pêcheurs de 4500 habitants, le bureau de poste dessert aussi la commune voisine qui compte 1500 habitants. Ouvert à mi-temps et ne fonctionnant qu’avec un seul salarié, il ne dispose ni de machine à affranchir, ni de photocopieur et évidemment pas d’un équipement informatique. La queue des usagers déborde régulièrement jusque sur le parking, car, outre ceux qui viennent déposer un colis, retirer des sous de leur carnet d’épargne (les temps sont durs), c’est aussi à la Poste que beaucoup viennent régler leurs factures d’électricité, d’eau… 

Dans ce contexte, les propos de Jean-Philippe Desigaux, délégué syndical FO résonnent de façon tout à fait appropriés pour décrire la situation : « cette e-lettre sera un véritable parcours du combattant pour les personnes ayant des difficultés avec le numérique ».

S’il est vrai que l’utilisation du timbre rouge a beaucoup fléchi ces dernières années (il ne concernerait que 4% du courrier), est-ce-une raison pour pénaliser et isoler un peu plus les aînés vivant en zone rurale ?

Officiellement, c’est une préoccupation écologique qui a conduit la Poste à remplacer le timbre rouge par ce service dématérialisé. Mais quand on se soucie de l’état de la planète, il est possible de suivre d’autres pistes que celle de rogner sur les services publics. Par exemple, celle choisie par l’assureur Maïf, d’allouer 10% de son résultat annuel à la protection de l’environnement, en créant une dividende écologique en quelque sorte.  

Mais cela ne semble pas être à l’ordre du jour pour la Poste si l’on en juge par cette nouvelle expérimentation : supprimer les tournées journalières des facteurs à partir de mars 2023… 

On devine donc que la décision de la Poste est économique. Elle devrait permettre à l’entreprise de faire une économie de plus de 120 millions d’euros par an.