Soucieuse de voir de plus en plus de petits enfants laissés seuls devant des écrans de smartphones ou de télévision, Claudie a voulu savoir si les écrans numériques étaient aussi toxiques qu’on le dit. A l’occasion d’un colloque sur les dangers des écrans pour les jeunes enfants, elle a rencontré Bénédicte B., psychologue clinicienne travaillant dans un service de périnatalité et d’enfants plus grands et elle lui a posé des questions essentielles. 

Par Claudie Perrot 

Actuellement, dans les médias, il est souvent question de la nocivité des écrans sur le développement du cerveau des bébés.  Est-ce parce que cette problématique est nouvelle qu’on en parle autant ? 

Effectivement, les médias s’emparent de ce sujet mais cette nocivité relative aux écrans n’est pas récente. Elle a été signalée dès 2011 par une association française de pédiatrie, à plusieurs reprises par l’Académie américaine de pédiatrie et plus récemment, en 2016, par bien d’autres encore. Par ailleurs, les effets d’une exposition importante aux écrans pour l’enfant et l’adolescent ont été observés dans différents établissements de soin. Tous les professionnels de la petite enfance : médecins, pédopsychiatres, mais aussi les psychologues, puéricultrices, la PMI (protection maternelle et infantile), enseignants de maternelle et les personnels de crèche constatent des comportements inquiétants chez le bébé et le petit enfant entre 6-8 mois et 3-4 ans.
Hélas, le développement du bébé et du jeune enfant fait rarement la Une des journaux.  Pourtant, l’envahissement des écrans dans la vie quotidienne a commencé vers 2007 et son retentissement sur les tout-petits remonte aux années 2012-2013.

Pourquoi les écrans sont-ils dangereux pour le cerveau d’un bébé ? 

Avant de parler de la dangerosité des écrans, je voudrais rappeler un point fondamental : le cerveau du bébé et du jeune enfant est en construction et, de ce fait, il n’a pas encore et, loin s’en faut, les mêmes capacités que celui des adultes.

En quoi consiste le danger des écrans ? 

Pour bien se développer, le bébé a besoin d’interagir, c’est-à-dire de communiquer avec l’adulte, même s’il ne parle pas. Le temps passé devant un écran empêche les occasions de parler. On sait que plus un bébé entend de mots, plus il en stocke dans son cerveau. L’échange verbal est donc fondamental dans l’acquisition du langage. Or, les enfants qui bénéficient d’un langage solide sont mieux préparés à réussir dans la vie, à se faire comprendre et à comprendre les autres.
L’autre danger des écrans concerne l’évolution sensorielle du petit enfant. Dès la naissance, celui-ci est déjà en mesure d’utiliser le toucher, le goût et l’odorat. Il entend et réagit aux sons et il perçoit les formes et les couleurs, même si sa vision n’est pas entièrement performante. C’est dire que très tôt, le petit enfant possède de réelles compétences sensorielles et les stimuler est capital dans le processus d’apprentissage du monde qui l’entoure. Cela explique pourquoi les écrans captivent son attention. La lumière bleue stimule sa rétine, hélas trop fortement, ce qui va entraîner des répercussions néfastes sur son sommeil, notamment en perturbant la sécrétion de l’hormone qui favorise l’endormissement. Par ailleurs, les images qui bougent tout le temps sont trop stimulantes pour son cerveau et agissent négativement sur ses futures capacités d’attention et de concentration. Un autre point à souligner : il existe un lien entre un usage excessif des écrans et la surcharge pondérale des enfants. Plus un enfant s’amuse avec un écran et plus sa sédentarité se trouve favorisée. Or, réduire son activité physique quotidienne aura des conséquences sur sa croissance et le maintien d’un poids idéal.
Enfin, certaines études montrent que trop de temps d’écrans peut être associé à un risque accru de problèmes de santé mentale tels que l’anxiété, la dépression ou l’agressivité. Cependant, davantage de recherches dans ce domaine est nécessaire pour mieux comprendre l’origine de ces troubles.

Quels conseils pourriez-vous donner pour gérer l’utilisation des écrans ?

Les écrans font partie du quotidien mais nous avons vu qu’ils pouvaient être néfastes pour le tout-petit s’ils prennent trop de place dans sa vie. Il est donc important de lui apprendre à bien s’en servir et surtout de lui fixer des limites.
Un mot d’ordre, selon moi, serait d’interdire les écrans et la télévision avant l’âge de 2 à 3 ans. En tout cas de les limiter autant que possible et de ne pas laisser l’enfant les consommer seul. La présence d’un adulte à ses côtés est indispensable pour commenter avec lui les images qu’il découvre. Autres consignes : veiller à alterner période virtuelle et période réelle pour lui permettre d’imaginer et de « souffler » un peu. Et privilégier les écrans actifs comme des jeux sur une tablette aux écrans passifs comme celui de la télévision qui diffuse des dessins animés 
On peut aussi retenir la méthode des 4 temps, familièrement appelée règle des 4 pas,  
telle que la propose la psychologue Sabine Duflo. 
    Pas d’écran le matin
    Pas d’écran durant les repas
    Pas d’écran avant de s’endormir 
    Pas d’écran dans la chambre.

Difficile à appliquer quand on sait combien les écrans ont colonisé notre vie…

Les écrans sont partout, c’est vrai. A la maison mais aussi dans l’espace public : les salles d’attente, les transports en commun…. Il faut donc apprendre aux enfants à utiliser ces « outils » de manière raisonnable et constructive. Et aussi leur fixer des limites saines. A la maison, il est primordial d’en réguler les usages pour toute la famille, parents compris, car nos enfants nous imitent et calquent leur comportement sur les nôtres. Le repas familial notamment doit rester un moment d’échange privilégié, sans portable ni télévision. 
Durant une promenade à l’extérieur ou un jeu de société à la maison, évitez, chers parents de sortir votre smartphone !  Vos enfants aiment quand vous êtes disponibles pour eux seuls.
Et puis, il est essentiel de varier les stimulations : après une exposition aux écrans, inciter l’enfant à changer d’activité et surtout échanger avec lui pour lui demander de raconter ce qu’il a vu ou ressenti après le dessin animé. 

Le bonus de Claudie :     
A la relecture de cette interview, je voudrais parler d’une très belle activité sans écran et qui me tient beaucoup à cœur : la lecture de livres, en tissu d’abord puis en papier. C’est un cadeau que vous faites à votre enfant aujourd’hui et pour le futur.
Pour lui, c’est un moment privilégié parce qu’il est seul avec vous et qu’il a toute votre attention. C’est aussi un moment de proximité physique parce que, souvent il est sur vos genoux. La lecture est avant tout un plaisir partagé. Raconter des histoires, dès le plus jeune âge est le meilleur moyen de donner l’envie de lire aux enfants.
Alors oui, des livres, des livres…