L’hôpital public est gravement malade. Mais parfois au plus noir de la nuit, on trouve une petite lueur d’espoir. Martine en a fait récemment l’expérience aux urgences du CHU de Rouen et elle nous raconte.

Par Martine Lelait

Des heures et des heures d’attente, des patients stationnés dans les couloirs faute de place dans les boxes, des professionnels débordés, épuisés, c’est l’image que nous avons des services des urgences de l’hôpital public et celle qui est relayée dès qu’une personne de notre connaissance a dû les fréquenter.
Et ce n’est pas la troisième saison de la série Hippocrate de Thomas Lilti qui démentira la noirceur de ce tableau.

La Cour des Comptes a publié le 19 novembre dernier son rapport sur « l’accueil et le traitement des urgences à l’hôpital ». Elle relève que les urgences sont sollicitées bien au-delà de leur vocation initiale et qu’elles sont devenues un déversoir de tous les débordements du système de santé. Ces services récupèrent en effet nombre de personnes présentant des pathologies de faible gravité, mais en dehors des heures de permanences des médecins de ville, c’est à dire, le soir, la nuit, les week-ends…

Une amie médecin m’expliquait récemment que l’une des causes de cette situation était la suppression, en 2002, par le Ministre de la Santé, de l’obligation de garde des médecins.
Parce qu’il y a des déserts médicaux, parce qu’il n’est plus possible de faire appel à un médecin de garde, même en ville, les malades se tournent vers l’hôpital qui n’en peut plus d’être engorgé. Cela aboutit à ce que certains services soient fermés, partiellement ou totalement, faute de médecins en nombre suffisant. A tel point que certains élus s’interrogent actuellement sur la remise en place de l’obligation de garde.

Cette insuffisance de médecins réside quant à elle dans le numerus clausus appliqué à la fin des années 1970 et qui a drastiquement réduit le nombre de places en études de médecine quand, dans le même temps, la population continuait de vieillir et d’avoir de plus en plus besoin de soins. Bien que le numerus clausus ait été abrogé en 2019, il faudra bien des années, tant les études sont longues, avant que soient formés tous les médecins nécessaires.

Forte de ces bribes d’informations, je n’étais pas très fière ni rassurée quand le médecin généraliste de mon père, 90 ans, en cours de consultation, a décidé d’appeler le SAMU pour l’emmener immédiatement aux urgences. Entré sur ses deux jambes, certes vacillantes ce jour-là, dans le cabinet du médecin, il en est ressorti sur un brancard, direction les urgences du CHU de Rouen.

N’ayant aucune pratique des urgences, je m’attendais au pire. Contre toute attente, je n’ai que du bien à en dire !

Arrivé vers midi, mon père a été immédiatement pris en charge et les nombreux examens et analyses ont été réalisés dans la foulée. Il n’a eu qu’à se féliciter de la prévenance des soignants auxquels il a eu à faire. J’ai pu apprécier, de mon côté, le guichet réservé aux familles venues demander des nouvelles ; une fois les examens terminés, on m’a emmenée jusqu’auprès de lui dans le box pour attendre la venue et la décision du médecin.

Un coup de chance, me direz-vous ; peut-être sommes-nous tombés sur un jour où il n’y avait pas trop de presse aux urgences, où les professionnels n’étaient pas encore à bout de forces…

Néanmoins, faute de place en lits d’hospitalisation, mon père aura dû passer la nuit puis une nouvelle matinée aux urgences, avant qu’un lit se libère en gériatrie le lendemain après-midi. Là non plus, rien à redire sur la prise en charge, la qualité des soins, la bienveillance, la qualité du relationnel des équipes avec le patient, la famille, l’attention portée aux conditions de vie du malade dans l’optique de sa sortie, le compte-rendu archi-détaillé d’hospitalisation, les prescriptions médicamenteuses bien expliquées (quel médicament remplace tel autre et pour quelle raison…). Un grand merci à l’hôpital public et ses soignants de savoir encore faire tout cela dans un contexte globalement dégradé !

Mon amie Marie répète souvent qu’il n’y a rien à espérer du désespoir. Je n’ai toujours pas compris si c’est une citation de Sollers ou de Lacan mais confrontée à cette expérience des urgences, je pense qu’il est encore raisonnable d’espérer que les moyens soient rapidement redonnés à l’hôpital pour qu’il exerce pleinement et humainement sa mission de santé publique.

Pour finir, je voudrais raconter une petite anecdote du moment où je patientais dans la salle d’attente des familles. J’avais engagé la conversation avec une dame qui attendait elle aussi des nouvelles d’un malade qu’elle avait accompagné ; il était 13 h 30 bien tassées et je lorgnais, affamée, sur son sandwich, puisque je n’avais rien anticipé de cette matinée. Elle m’a raconté être tombée dans un trou devant le bâtiment principal où elle était allée acheter son sandwich, s’être fait mal à la jambe et n’avoir même pas pu se procurer un comprimé de paracétamol. On lui proposait une radio mais pas de comprimé. Venir se blesser aux urgences, j’ai trouvé ça assez cocasse malgré tout. J’avais du paracétamol dans mon sac, je lui en ai donné un cachet… sans chercher à échanger avec son sandwich qui pourtant me tentait bien !