Par Marie H.
C’est un matin pluvieux, balayé par le vent. Je me lève à contrecœur. J’aperçois à travers la pluie les arbres du square, deux corbeaux sur la pelouse et une jeune femme qui se hâte le parapluie à la main. Une sirène d’ambulance me déchire les oreilles. Je me dirige d’un pas hésitant vers la cuisine. J’ai la mauvaise idée de brancher la radio, et vlan, je prends en pleine figure une citation débitée fièrement par le cultureux de service : « la vieillesse est un naufrage ». Merci, Monsieur de Châteaubriand. C’est gentil de prévenir. Il n’est jamais trop tard pour apprendre à nager. Ce matin, barboter dans les lagons me plairait assez.
Trêve de plaisanterie, revenons au naufrage. Il y a naufrage et naufrage. Prenez le naufrage façon Titanic, mon préféré : musique et champagne, prières (pas pour moi) et surtout fraternité. Tous au coude à coude dans l’attente du grand froid, les uns soutenant le courage des autres. « Non Jeff t’es pas tout seul » comme disait l’ami Brel. Il existe aussi le naufrage façon Radeau de la Méduse : horreur et sidération, l’homme transformé en bête sauvage, prêt à tout pour survivre.
J’éteins le poste, un coup de sonnette me sort de ma sombre rêverie. Je vais ouvrir, ma voisine me propose de partager son repas ce midi. J’accepte avec joie et après l’avoir remerciée, je lui demande, de la façon la plus naturelle quel serait son choix de naufrage. Elle me jette un regard inquiet (est ce bien du thé qu’elle ingurgite le matin ?) Gentiment perplexe, elle me répond, souriante : mais Anne, j’ai toujours eu le mal de mer, je ne monte jamais sur un bateau, pourquoi ferais-je naufrage ?
Nous n’avons pas tous les mêmes inquiétudes, certains restent bien ancrés dans la réalité. C’est rassurant.
Vous reprendrez bien une petite citation : « Nous sommes faits de l’étoffe de nos rêves » William Shakespeare. Ce matin-là, le rêve aurait pu virer au cauchemar. Merci voisine. Vous m’avez ramenée sur les rivages de l’ordinaire, là où bat le cœur de la vie.