Elles ne partageaient pas de liens du sang et pourtant Rose et Françoise se sont aimées comme grand-mère et petite-fille. La plus ancienne laissant une empreinte indélébile dans la mémoire de la plus jeune. Une belle histoire qui pourrait susciter des vocations de grands-parents d’adoption. 

Par Françoise S.

Au bord de l’Eure, je me promenais sur un chemin à la flore riche et variée            

Au milieu d’un tapis d’orties apparût une fragile et pâle rose. Que faisait-elle là ?
Elle m’apparut comme un signe de Rose, ma mamie de cœur me soufflant : « Ne m’oublie pas, cueille-moi ! », ce que j’ai fait en évitant de me piquer. Durant la soirée, sur Facebook, je découvrais la même rose envoyée par une amie. Plus question de tergiverser. Il fallait que je laisse mes souvenirs de Rose revenir à ma mémoire. 

Mamie Providence 
Je l’ai rencontrée pour la première fois à l’âge de quelques mois.
Récemment veuve d’un grand-cousin de ma mère, ayant perdu son unique fille le jour même de sa naissance, Rose avait alors une soixantaine d’années. Sans le savoir commencèrent à s’établir entre nous des liens filiaux, car elle devint pour moi la mamie idéale. Mes deux grand-mères et arrière-grand-mères étant disparues avant ma naissance, Rose devint ma double grand-mère. Durant la guerre, elle nous a accueillis dans sa maison, ma mère, mon frère et moi. 

Je garde des flashes, des impressions et des sensations de cette période : mes allées et venues dans son petit jardin fleuri, mes grimpettes à quatre pattes sur le tapis rouge de l’escalier grinçant, des odeurs de vieille cire, la chambre bleue tapissée de vignes, le lit de fer bleu et or, et la fausse cheminée de bois bleu (aujourd’hui, elle préside et surprend dans mon entrée, où comme un caméléon, elle change de couleur au gré de mes décorations). 

Quand ma mère me grondait je lui répondais par une phrase de Rose : « Elle est encore petite ». 
Rose était si heureuse de ma présence dans sa vie qu’elle se montrait indulgente avec moi.  
A la fin de la guerre, nous sommes partis avec mon père nous installer à Rouen. Mais je n’oubliais pas Rose, cette mamie providence.

Pendant les vacances, quand je ne partais pas en colonies, je prenais ma petite valise et empruntais le car à la gare routière pour me rendre chez elle. Je me souviens de son accueil chaleureux, sur le pas de la porte. Et aussi de ses repas simples, mijotés avec amour, de ses chansons, de nos jeux après le souper sur la table ronde de la cuisine recouverte d’une toile cirée, sous la lampe dentelée accolée d’un ruban tue-mouches que l’on descendait et allumait aux dernières lueurs du jour. Après avoir rentré les géraniums et clos les volets gris, j’allais fermer la grille verte.

Puis dans le calme et la fraîcheur du soir, nous allions nous coucher sous un édredon de plumes.
Je me remémore cette petite phrase magique qui commençait par : « Toi qu’es pas bête». 
Elle obtenait ainsi ce qu’elle voulait mais cela me faisait tellement de bien à moi qui manquais  d’assurance. Quelle stupéfaction quand, un jour, adolescente, je l’entendis me dire : « Tu ne m’aime pas autant que je t’aime ! ». Je ne lui montrais peut-être pas assez mon affection. Je l’aimais tant, pourtant : Rose était active, honnête, compréhensive, hospitalière, lucide. On disait que sa maison était la maison du Bon Dieu.

Profiter des gens âgés qui nous entourent tant qu’ils sont là

Quand on est jeune, on vit le présent. A l’âge plus que mûr, on puise dans le passé et l’on découvre que les personnes âgées que nous pouvions considérer comme des radoteurs étaient des mémoires vivantes. Nous n’avons pas écouté, pas entendu, ni même posé les bonnes questions. Nous nous retrouvons dépourvus comme la cigale quand la bise fût venue. Alors nous nous lançons dans des recherches généalogiques éreintantes. 

Rose était un puits de connaissances généalogiques. Je m’en veux de ne pas y avoir puisé. Un conseil : communiquez avec vos anciens, profitez de leur présence, après il sera trop tard. Ma Rose s’est fanée ; depuis son lit, elle s’est envolée en appelant sa maman. 

Avec le temps, je me suis aperçue que, tout comme mes parents, elle m’avait laissé quelques traces.  J’ai eu la chance d’avoir une mamie de cœur et de remplacement. Mais qu’en est-il des enfants privés de grands-parents ? Qui grandissent sans les repères affectifs, historiques, culturels que ces derniers peuvent leur apporter ? 

J’ai appris sur internet qu’il existait des associations qui mettaient en relation des parents en quête de grands-parents d’adoption pour leurs enfants et des seniors désireux de passer du temps avec des enfants. Ils font connaissance virtuellement, se rencontrent si affinités.  Puis, ils participent à des activités communes, des sorties, des fêtes.
Quelle belle idée ! Qu’on ait des petits-enfants ou non, savoir qu’on peut devenir des grands-parents de cœur est une super opportunité ne pas vieillir dans la solitude.