Faut-il avoir honte d’avoir vécu les Trente Glorieuses ? A ceux qui voudraient le laisser penser, Marie dit non. Elle rappelle que ces années d’essor économique et de progrès social ne sont pas arrivées par hasard. Mais au terme de la lutte de toute une génération.

Par Marie H.

Lorsqu’on « zappe », la télévision est pleine de surprises. L’autre soir, j’ai pu ainsi voir et entendre, ébahie, une jeune femme vêtue et maquillée avec recherche, nous jeter à la face, à nous octogénaires et septuagénaires, les trente glorieuses de joyeuse mémoire. Qu’avons-nous fait pour mériter ce courroux ? Qui a jamais choisi la date et le lieu de son arrivée sur terre ?

Ah ! Ces trente glorieuses, quel eldorado ! Quel paradis ! Cette époque mirifique a été, hélas, précédée par des années légèrement moroses. Souvenons-nous.

Les enfants d’aujourd’hui ne sauraient envier notre enfance. Nous étions nombreux à être des enfants rachitiques, trop longtemps soumis aux restrictions alimentaires de la guerre et de l’après-guerre. Nous grandissions au milieu des ruines, nous habitions des baraquements insalubres. Certains d’entre nous devaient aller puiser l’eau à la pompe au bout de la rue. Pour terrains de jeux nous avions des terrains vagues.

Les enfants d’ouvriers et de petits employés n’entraient pas au collège. A quatorze ans,  ils quittaient l’école primaire et devenaient apprentis. Pour entrer en sixième, il fallait passer et réussir un concours ; les bourses d’études étaient accordées sur concours elles aussi.

Dès 1945 et jusqu’en 1962, les guerres « coloniales » blessent et tuent des milliers de jeunes gens.

Il faut reconstruire le pays ;  cela entraîne le plein emploi. Les salaires stagnent, les fameuses quarante heures de 1936 restent à l’état de promesse. Les semaines de quarante-cinq heures, voire de quarante-huit heures, ne sont pas rares. Les congés payés culminent à trois semaines annuelles.

Peu à peu, le confort ménager s’installe dans les foyers, les tâches ménagères s’en trouvent allégées. Le droit de vote a été accordé aux femmes dès 1945. Les femmes vont enfin pouvoir travailler, signer des chèques, sans l’aval de leur mari et dans certains cas, devenir chef de famille.

Le printemps enfiévré de Mai 1968 aboutit, après une grève générale, des occupations d’usines et des combats de rue, aux accords de Grenelle. Il en découle une plus grande justice sociale. Les femmes descendent dans la rue, signent des pétitions et obtiennent la pilule contraceptive et le droit à l’avortement. Une des leurs, devenue ministre, a eu le grand courage de les défendre à l’Assemblée Nationale devant un aréopage masculin et sous d’ignobles injures. Les femmes pourront désormais choisir d’être mère et profiteront d’une sexualité épanouie.

Au cœur de ces trente glorieuses, la vie était belle et nous étions plus nombreux à le savoir. Cela n’était pas arrivé par hasard, ces heureux résultats étaient le fruit des luttes de toute une génération.