La langue française permet de s’adresser à quelqu’un en le tutoyant ou en le vouvoyant. Il y a des règles, qui expliquent la différence. Mais aussi des usages, plus subtils que Marie décortique. 

Par Marie H.

Jacques Prévert le proclamait : « Je dis « tu » à tous ceux qui s’aiment, même si je ne les connais pas ». Il avait raison, les poètes ont tous les droits.

Quant à moi, je réserve le « tu » à mes amis d’enfance. Nous avons partagé les joies, les peines et les jeux de nos premières années. Plus tard, nous avons continué à nous tenir chaud et à nous protéger des hivers de la vie. Nous avons parcouru ensemble, avec bonheur, un chemin fraternel. N’est-ce pas Judith, Samuel, Mathias, Victoire et France ? Trouvez-vous comme moi que le « tu » est de rigueur entre vieux guerriers ?

Le « tu » est aussi la marque de la familiarité amoureuse, le « tu » intime de nos amours, tendre chaleur liée à l’acceptation du meilleur des partages, celui des cœurs et des corps.

A l’inverse de ce qui précède, le « vous » implique une distance, un repli sur soi ou une manière de ne pas donner prise à la moindre manifestation de familiarité. Dans le meilleur des cas, le « vous » est un hommage, issu de la reconnaissance d’une supériorité, sans souci d’une hiérarchie sociale préétablie. Il existe aussi un « vous » de simple politesse destiné à saluer une grandeur d’établissement ; nous ne sommes pas dupes, il est facile d’être quelque chose, plus difficile d’être quelqu’un ! 

Le passage du « vous » au « tu » peut être le symbole d’une amitié naissante. Le « tu » arrive à son heure et sanctionne des rapports devenus amicaux. Ce grincheux lucide de Schopenhauer préconisait la théorie du hérisson (qui s’y frotte, s’y pique) : « Trop près ça pique, trop loin pas de relation possible ».

Si le « tu » ne jaillit pas spontanément, cela peut résulter d’une éducation « à l’ancienne » où le tutoiement était rare, réservé aux seuls égaux. Le snobisme s’en mêlant, les égaux, sujets d’une sélection sévère, s’avéraient une rareté désolante souvent ridicule.

Si une personne tutoie d’emblée, par ignorance de notre langue et de nos coutumes, ou parce qu’elle respecte un usage de son pays, le tutoiement s’impose, afin de ne pas la gêner. Le tutoiement s’impose également avec les plus jeunes des enfants par tendresse et pour faciliter la communication.

J’allais oublier, le « vous » écarte : importun, glacial, il permet de prendre le large. Le « vous », en maintenant une distance salutaire, peut aussi éviter aux discussions de dégénérer en disputes. Le vouvoiement favorise le respect de l’adversaire et peut éviter d’irréparables grossièretés.

Mais il est agréable de mélanger le « vous » et le « tu » dans certains échanges amicaux ou amoureux. Quand on s’apprécie et qu’on s’aime, tout est possible.