Elle ne l’a jamais rencontré, et ne le rencontrera jamais car il vit à l’autre bout du monde. Mais en quinze ans et au rythme d’une lettre par mois, une amitié s’est tissée entre Andrée et son correspondant japonais. Une histoire inspirante en ces temps de distanciation amicale. 

Par Andrée Lepetit 

 C’est une amie qui m’a donné son nom et son adresse. Sadamitsu vit à Yokohama. Le fait qu’il habite si loin de moi, au Japon, m’a d’emblée fait rêver. C’est cet éloignement qui m’a donné envie d’amorcer une correspondance avec lui, cet inconnu japonais. 

Nous avons le même âge. 85 ans aujourd’hui, 70 ans quand notre relation épistolaire a commencé. J’adore découvrir ses lettres. Il choisit de très jolis timbres. Je m’installe confortablement avant de décacheter une nouvelle missive et de la lire. 

Sadamistu n’a pas été mon premier correspondant ; il n’est pas le seul non plus. 

Depuis que je suis à la retraite je corresponds avec plusieurs messieurs, en Amérique, en Angleterre, en Hollande. Cela me permet de pratiquer une langue que j’aime beaucoup, l’anglais. Depuis que j’ai entendu mon père l’utiliser pour dialoguer avec les Américains qui avaient débarqué en 1944, je suis très attachée à l’anglais et je saisis toutes les occasions qui se présentent pour pratiquer cette langue. 

Mais avec Sadamistu,  les échanges sont plus intimes. Il connaît ma vie. Il sait que j’habite à Rouen, que j’ai des enfants et des petits-enfants. Il sait aussi que j’ai perdu mon mari. Quand je lui ai annoncé son décès, il m’a répondu d’une manière très gentille qu’il était triste pour moi. Cela m’a émue. 

Je lui raconte mes vacances, les amis que je fréquente, et parfois aussi mes baisses de moral. Je ne me censure pas. Il me répond toujours très vite. J’aime beaucoup qu’il ne me fasse pas attendre.  

Je sais qu’il est marié, qu’il a des enfants qu’il voit peu car ils vivent loin de chez lui et aussi qu’il a été ingénieur dans les chemins de fer. Chaque année au printemps, il me parle des cerisiers en fleurs sous lesquels il va danser. Il fréquente beaucoup ses amis de jeunesse et organise régulièrement des randonnées sur le mont Fuji avec eux. 

Il me dit souvent qu’il aimerait que je sois présente pour partager tel ou tel évènement avec lui. Nous n’évoquons jamais l’avancée en âge et ses effets sur notre corps. Le temps n’a pas de prise sur notre amitié virtuelle. Je sais à quoi il ressemble, car il m’a envoyé une photo de lui. Mais j’aime penser à lui comme à un ami lointain. Que je ne verrai jamais. D’ailleurs, je pense qu’on se dirait moins de choses si on se voyait. Un jour, il m’a téléphoné pour mon anniversaire. Cela m’a fait très plaisir, mais on se comprenait si mal, qu’on n’a pas récidivé. Notre amitié peut se contenter des lettres que nous nous envoyons.