Après Andrée qui nous a parlé des sargasses, ces fameuses algues brunes qui envahissent sa Martinique, Martine poursuit la thématique des algues pour évoquer « la peste verte costarmoricaine » que représentent les algues vertes sur la côte bretonne.

Par Martine Lelait 

Je suis une fana des algues dont de nombreuses espèces sont comestibles sous des formes diverses : tartare d’algues, tisane aux algues, spaghettis aux algues, galettes aux algues…sans parler bien sûr des sushis mais là, on s’éloigne un peu.

Je veux revenir sur la Bretagne, et notamment ce coin des Côtes d’Armor où je séjourne très souvent. Et là, sévit une espèce d’algue verte, désagréable bien qu’elle soit fraîche quand on se baigne mais surtout qui se révèle mortelle si on la laisse s’entasser et pourrir, puisqu’elle dégage de l’hydrogène sulfuré (H2S) en se décomposant. 

Le phénomène des algues vertes n’est pas récent : le conseil municipal de Saint-Michel-en-Grève s’est inquiété pour la première fois de cette « marée verte » en 1971. Dans les années qui suivront, on en entendra de plus en plus parler. C’est sur la plage de Saint-Michel-en-Grève qu’un joggeur de 26 ans trouvera la mort en 1989, puis en 2009, qu’un cheval périra, englué et asphyxié par les algues, son cavalier s’en sortant in extremis. 

Ce même été 2009 verra le décès de Thierry Morfoisse, décédé à bord de son camion-benne avec lequel il faisait des navettes pour ramasser les algues vertes, sans protection particulière. Le gouvernement dépêchera quelques ministres sur place pour convenir qu’il fallait agir : cela aboutira à toute une série de « Plans algues vertes » qui se sont succédés au fil des années sans parvenir à éradiquer l’origine du mal : à savoir lutter contre la concentration du taux de nitrates (utilisés dans les engrais agricoles) dans l’eau. Les fortunes dépensées ont été investies dans le ramassage des algues.

Durant l’été 2011, ce sont entre 35 et 40 animaux, des sangliers pour la plupart, qui seront, en quelques jours, trouvés morts sur les bords du Gouessant sur la commune de Morieux. Un autre joggeur décédera en septembre 2016 dans ce même estuaire du Gouessant un endroit où le ramassage des algues n’est pas facile.

Le sujet des algues vertes est sensible et clivant. Il oppose d’une part, les associations de défense de l’environnement et une grande partie de la population, et d’autre part, ceux qui défendent un modèle économique basé sur le toujours plus de rendement et un modèle touristique qui ne doit pas de pâtir d’une mauvaise réputation. Dans ce camp, on trouve des producteurs de viande porcine qui investissent dans des élevages de cochons toujours plus grands, les lobbys agricoles et des élus locaux. 

La journaliste Inès Léraud s’est installée en Bretagne pendant trois années pour enquêter de manière approfondie sur le phénomène. La BD « Algues vertes, l’histoire interdite » qu’elle a écrite et que Pierre Van Hove a dessinée, parue en 2019, a montré l’omerta qui a pesé sur le sujet pour dissimuler le scandale sanitaire sous-jacent. La BD a reçu de nombreux prix et connu un beau succès de librairie. Pas seulement en Bretagne. Lorsque le réalisateur, Pierre Jolivet, connu pour ses films à caractère social (Ma petite entreprise par exemple) a voulu adapter le livre pour le grand écran, il s’est heurté à beaucoup de réticences, notamment de la part d’élus qui, ne voulant pas dégrader l’image de leur commune, ont refusé les autorisations de tournage. La Région Bretagne a également été longue à se décider de lui apporter son soutien. Le tournage a toutefois pu démarrer en septembre 2022 à Plestin-les-Grèves. Le rôle de la journaliste est tenu par Céline Sallette. La sortie du film est prévue le 12 juillet. Je courrai le voir.