Difficile d’exhumer des souvenirs d’école sans que des bribes de son enfance, et pas toujours les plus heureuses, ressurgissent. Jean-Claude se souvient d’une figure de l’enseignement qui l’a hanté longtemps. 

Quand souvenirs d’école et de vie s’entremêlent 

Par Koffi

Je ne sais si ma première année de scolarité s’est faite à 6 ans car mes souvenirs sont plutôt dans le brouillard. Toutefois, j’ai très nettement conscience que nous n’avions qu’un seul instituteur. Il avait en charge plusieurs niveaux dans la même salle de classe. Les grands et les petits comme moi. Je revois encore cet enseignant, relativement grand ou alors sa maigreur le grandissait-il à mes yeux ? Je me souviens aussi de sa blouse grise, de son béret sur le côté et de son nom. Cet homme exerçait la fonction de secrétaire de mairie. 

Dans ma commune d’origine sur la côte d’Albâtre, proche de Goderville, les immeubles administratifs, dont l’école des filles et l’école des garçons, étaient sortis de terre entre les années 1890 et 1900. 

La classe était très sombre en raison de sa situation géographique. Une ferme en face, clôturée de hauts hêtres, absorbaient toute la lumière. L’éclairage de la pièce, hum… l’électricité, hum… Ce qui m’a marqué le plus : l’apprentissage de l’alphabet ; mettre des lettres, des mots sur des images pour les ancrer dans la mémoire.

Je connaissais bien les enseignants par ma grand-mère qui me chargeait de leur rapporter leurs vêtements. Pour gagner un peu d’argent, elle faisait quelques travaux de couture pour eux. 

A la fin de l’année scolaire, il y avait une fête, dont nous étions les acteurs. Je me souviens de ce traumatisme ressenti à l’âge de huit ans, quand on m’avait enlevé mes vêtements pour m’habiller et me décorer avec du papier crépon ! 

En 1951, j’avais alors 8 ans, maman s’est mariée. (J’étais né pendant la guerre et n’avais pas connu mon père). De ce fait, j’ai pris le nom de mon beau-père et j’ai déménagé à Fécamp.  

Le directeur de l’école où l’on m’a inscrit s’est montré sensible à mon passé. Mais doutant de ce que j’avais pu apprendre précédemment, il m’inscrivit en classe de 9ème avant de rectifier le tir quelque temps plus tard et de me mettre en 7ème.  En guise de bienvenue, il me fit visiter ma nouvelle classe, et poussa même jusqu’à me montrer l’emplacement de son appartement. 

Mon instituteur ne s’est pas montré aussi chaleureux. Il appliquait une règle d’éducation bizarre ! Tous les lundis matin, il nous passait en revue : on devait se déchausser, enlever nos chaussettes, lui présenter pour inspection nos pieds, nos mains et nos ongles. Gare au coup de règle sur les doigts si jamais ils n’étaient pas jugés assez propres. Je ne sais si cela se faisait ailleurs. Docile, je ne me suis jamais rebellé.

Ça se passait mal avec cet instituteur. Il m’avait toujours à l’œil. D’abord, parce qu’il m’avait reconnu sans me reconnaitre. Il avait travaillé dans l’école où j’avais fait mes premiers pas, et se retrouvait muté à Fécamp, la même année que moi. Mon visage lui disait quelque chose mais comme j’avais changé de nom, il ne me remettait pas. Quelque chose clochait qui lui déplaisait. 

De plus, ma mère me faisait vêtir des vêtements des garçons de son ancien employeur :  blouse noire à col Claudine boutonnée sur le côté et pantalon de golf, dans lequel on aurait pu habiter à deux, vu ma maigreur et ma fébrilité. (J’étais de santé fragile, j’avais eu la polio et souffrait de maladies à répétition). Dans cet accoutrement, et au milieu des autres qui portaient la blouse grise avec une ceinture à boucle, j’étais le point noir de la classe. Involontairement, les yeux de mon instituteur se braquaient toujours sur moi.

Plus tard, au collège, voilà que je suis retombé sur cet enseignant, qui était entre temps devenu professeur de physique et chimie. Pas de chance ! Il me terrorisait, d’autant plus que son épouse était la directrice de l’établissement. Je me souviens de ce jour où il nous entassa comme des animaux dans la salle de chimie. Nous étions au moins soixante et avions pris place sur tous les meubles sur lesquels nous pouvions nous poser. 

Il avait deux garçons. Mais pourquoi diable, puisqu’ils étaient de notre âge, n’avaient-ils pas cour avec nous ? Leurs parents jugeaient-ils que cet établissement n’était pas à la hauteur de leurs ambitions ? Ou que les cours étaient de qualité médiocre ?

Je garde un souvenir émouvant d’une professeure de mathématiques. Cette femme m’impressionnait par sa taille, de même son fils plus jeune que moi et sa fille plus grande que la norme, tout comme leur mère. Allant faire des courses pour maman au grand supermarché, nous nous sommes croisés, ma prof de maths et moi.

Prenant de mes nouvelles, elle m’encouragea à poursuivre mes études, et poussa le bouchon jusqu’à me dire : « je t’aiderai, je te donnerai des cours particuliers, sans demander une quelconque rémunération à tes parents. » J’avais alors 17 ans, je ne trouvais plus ma place à la maison et je n’ai pas écouté son conseil.  J’ai probablement fait un mauvais choix en m’éloignant.