Harassants les passages aux urgences. Personne ne dira le contraire. Mais Marie n’oublie ni la philosophie de Shakespeare ni d’être reconnaissante envers ceux qui prennent soin d’elle au milieu de la nuit. 

Par Marie H. 

Deux heures du mat, j’ai des frissons… J’attends d’être admise aux « urgences » en compagnie de trois pompiers, une femme et deux hommes. A cette heure tardive, le hall est à peine éclairé. L’aîné des pompiers, un homme grand et massif, me réclame ma carte vitale. Son sourire est chaleureux ; sa collègue, une jeune femme très douce, me réconforte de son mieux et me précise que l’attente sera de courte durée. Le troisième consulte son smartphone. Un quart d’heure plus tard, c’est à mon tour d’entrer dans le service. Une infirmière me prend en charge et je suis dirigée au bout d’un long couloir dans une chambre réservée aux malades à surveiller.

J’entends crier, tousser, pleurer mais je suis seule dans la pièce. Tous ces bruits proviennent des autres chambres. Allongée sur le dos, immobile, je contemple le plafond. La pièce est plongée dans la pénombre, une légère inquiétude s’empare de moi, j’essaie de l’apprivoiser. Puis, la fatigue a raison de ma vigilance, terrassée, je m’endors.

Soudain, j’ouvre les yeux et j’aperçois au pied de mon lit une femme imposante en blouse blanche. Ayant terminé l’inspection de ma chétive personne, elle m’interroge : Où sommes-nous ? Mon inquiétude se transforme en panique ; du fond de ma fièvre, je crois avoir affaire à une malheureuse égarée qui ignore où elle se trouve. Dominant ma peur, avec calme, je la renseigne : Vous êtes aux urgences de l’hôpital Charles Nicolle à Rouen. Ma réponse trop brève ne lui suffit pas. Elle enchaîne façon kalachnikov, une rafale de questions : votre nom, prénom ? Votre date de naissance, votre adresse ? Qu’avez-vous vu ces jours-ci aux informations télévisées ? Mon opinion se confirme : cette femme est une personne dérangée, inutile de la contrarier. Je réponds à ses questions aussi vite que la fièvre et la fatigue me le permettent. Sans doute encouragée par ma docilité, elle réitère sa première question : où sommes-nous ? Là elle exagère, elle abuse de mon aménité. Ma réponse fuse intempestive : Nous sommes à Hollywood et je suis Marilyn Monroe. Je ferme les yeux, bien décidée à me rendormir quand, dans un grand rire, elle décline à son tour son identité : Je suis le docteur Z, médecin de garde aux urgences.

Me voilà rassurée, elle aussi. Elle a enfin compris que malgré mon âge avancé, mes cheveux blancs et mon air ahuri, je n’étais pas gâteuse. Soulagée, je m’assoupis jusqu’à ce qu’une jeune infirmière tout sourire, vienne me prélever quelques tubes de sang. Elle m’annonce un « petit scanner » avant une heure. Je la remercie et me rendors illico. Je suis réveillée en sursaut par un gaillard qui crie mon nom dans le couloir. Je me soulève et lui indique le numéro de ma chambre. Je vous emmène au scanner. Il étale une couverture sur mon lit. Je le remercie de sa délicate attention. Après de multiples détours au long de couloirs pleins de courants d’air, nous arrivons au scanner où m’attend un personnel jeune et accueillant. Je me laisse porter et installer dans l’appareil.

De retour dans ma chambre, j’entends les grondements sourds d’hélicoptères, mêlés aux plaintes aiguës des goélands. La fièvre ne m’a pas quittée et le délire s’empare de moi. Je suis à la fois au seuil d’une guerre et au bord d’une mer grise, prête à m’engloutir. Je sombre dans un cauchemar qui me laisse ruisselante et épuisée.

Je me réveille à nouveau, il fait jour. Peu à peu, grâce à des soins attentifs, je retrouve assez de raison pour éprouver une juste gratitude envers ces femmes et ces hommes qui se sont succédés à mon chevet pour me sauver du pire. Je les vois passer dans le couloir, fatigués par une longue nuit de travail mais toujours vaillants et prêts à aider les malades.

Merci frères humains, merci pour vos soins et votre soutien. Cette nuit, vous m’avez offert ce que le grand William Shakespeare nommait « le lait de la bonté humaine », « milk of human kindness ».